Elan de solidarité avec l’écrivain Rachid Boudjedra

Deux pétitions (une en langue arabe, l’autre en langue française) ont été lancées par des journalistes et universitaires en signe de solidarité avec l’écrivain Rachid Boudjedra victime d’un véritable lynchage médiatique dans le cadre d’une émission bidon de la chaîne privée Ennahar TV dirigée par Anis Rahmani. Dans le même contexte, plusieurs dizaines de journalistes, universitaires et militants politiques et syndicaux se sont rassemblés  samedi devant le siège de l’ARAV, à Alger, pour exprimer leur soutien à Rachid Boudjedra. Ce qui aurait pu rester une émission « caméra cachée » des plus ordinaires a malheureusement tourné à l’inquisition. L’émission devait parodier une interview menée par deux faux journalistes, Madani et Hichem censés interroger l’écrivain sur le succès d’Ahlam Mosteghanemi et son influence sociale. La suite est moins drôle. Deux policiers font brutalement irruption sur le plateau, interrompent l’enregistrement et procèdent à une vérification de papiers.

Au début, Boudjedra coopère avec le sourire. A un moment donné, Boudjedra lâche avec un brin d’agacement : «Soubhane Allah !» L’un des deux «journalistes» saisit la perche au vol et l’accule : «Donc tu n’es pas athée.» En voix off, la commentatrice de l’émission en remet une couche en marmonnant : «Hé Boudjedra, explique-toi, tu es athée ou musulman ?»  En hors champ, l’un des faux officiers revient à la charge et l’exhorte à dire : «Allah Akbar.» Boudjedra répète la formule à trois reprises. L’animateur renchérit : « Dis : la ilaha illa Allah.» Boudjedra se prête au jeu avec sérénité. On lui demande s’il est musulman, il répond très simplement : « Je suis musulman et demi», tout en avouant avec sa franchise habituelle qu’il ne fait pas la prière. Il s’ensuit une tentative pour pousser l’écrivain à implorer la grâce divine, ce à quoi il se refuse en s’énervant à la fin : « Quilouni !» (foutez-moi la paix !) Cette émission de mauvais goût a été vécue par de nombreux internautes algériens comme une offense au grand écrivain algérien qui méritait sans aucun doute mieux que ce traquenard médiatique qui ressemble à un procès de la pire espèce.

Plusieurs écrivains et universitaires ont tenu à réagir. L’écrivain et journaliste Arezki Metref n’a pas exagéré en parlant d’«inquisition» : « La caméra cachée de ces trous du culte d’Ennahar piégeant Rachid Boudjedra est une ignominie absolue » a déclaré le journaliste sur sa page Facebook. «Solidaire avec Rachid Boudjedra qui a été humilié et terrorisé par une chaîne dégueulasse», a réagi également le sociologue Nacer Djabi sur sa page Facebook avant d’appeler à boycotter la chaîne par tout un chacun ayant «une once d’estime pour sa personne». Le poète et journaliste Lazhari Labter a appelé, de son côté, les annonceurs à ne plus traiter avec le groupe dirigé par Mohamed Moqadem, alias Anis Rahmani. Fait rare pour mériter d’être souligné : le frère et conseiller du président de la république, Said Bouteflika, est apparu aux côtés des journalistes et universitaires rassemblés devant le siège de l’ARAV en signe de solidarité avec Rachid Boudjedra. De son côté, le directeur général de la chaîne Ennahar, Anis Rahmani, a présenté ses excuses à Rachid Boudjedra et a décidé de mettre fin à l’émission controversée après avoir jugé qu’elle outrepassait les règles déontologiques en vigueur.