Quand une ferme pilote propulse l’Algérie dans le futur Par Mohamed Tahar Bensaada

MTBDans le cadre des nouvelles orientations imprimées par le gouvernement en vue de sortir graduellement de la dépendance à l’égard des hydrocarbures, un projet de ferme pilote lancé récemment dans le cadre du partenariat algéro-américain revêt une dimension exemplaire. ce projet dont la réalisation a été annoncée par l’ambassadrice américaine dans le cadre de la 49e Foire internationale d’Alger semble prometteur puisqu’il entre dans le cadre d’un partenariat algéro-américain plus large qui vise à porter la production laitière de l’Algérie à 3 milliards de litres par an. C’est tout simplement impressionnant quand on sait qu’actuellement l’Algérie ne produit même pas un (1) milliard de litres par an alors que sa consommation dépasse les 3,5 milliards de litres. Si le partenariat algéro-américain dans ce domaine va à son terme, l’Algérie pourrait non seulement économiser les sommes dépensées dans l’importation de ce produit mais pourrait devenir un exportateur net de la poudre de lait.

Nous ignorons les détails qui ont entouré les négociations autour de ce projet mais nous pouvons aisément imaginer toutes les embûches que les artisans de ce projet ont dû surmonter pour arriver à le concrétiser. Le mérite des hommes et des femmes qui ont contribué à la concrétisation de ce projet ambitieux, à commencer par les membres du Conseil d’affaires algéro-américain et son président, le Dr Ismael Chikhoune, qui a accompli un excellent travail de lobbying aux Etats-Unis, est d’autant plus méritoire. Le mérite revient également aux opérateurs algériens qui ont sur mettre à profit ces opportunités et aux autorités qui les ont soutenus dans leur démarche. A cet égard, nous ne pouvons que féliciter le groupe Lacheb, basé dans la Mitidja et dans la wilaya de Mostaganem, qui a su profiter de cette opportunité pour passer à un cap supérieur ainsi que le groupe GGI Agriculture (une filiale du groupe Promo Invest des frères Sahraoui de Saïda) qui a décidé d’étendre vers le sud ses activités de production agricole qui étaient jusqu’ici concentrées dans les plaines de l’Oranie, dans les wilayas d’Oran, Mascara et Saïda.

Mais revenons aux dimensions stratégiques de ces projets agricoles pour le futur de l’Algérie. Il faut savoir que ces fermes pilote s’inscrivent dans le cadre d’un partenariat algéro-américain plus large puisque six accords similaires ont été signés en novembre dernier et attendent d’être concrétisés. Si le partenariat algéro-américain pouvait permettre au pays de s’auto-suffire et d’exporter les surplus dans des domaines aussi importants que les semences et le lait, ce serait déjà un acquis inestimable. Mais au vu de l’impact que le changement climatique peut avoir dans un avenir proche sur les performances de l’agriculture californienne, il n’est pas du tout exclu que les Etats-Unis se mettent à rechercher des partenaires agricoles sérieux dans le monde et l’Algérie, qui fut dans l’Antiquité le grenier de Rome, pourrait devenir, grâce à l’espace et à la nappe phréatique de son immense Sahara et aux biotechnologies américaines, un partenaire de premier choix.

Pour nous, Algériens, les projets de fermes pilote envisagés dans le cadre du partenariat algéro-américain revêtent une dimension particulière qu’il convient de mettre à l’honneur. Pour cela, il nous suffit de nous poser la question simple : comment ces fermes pilote peuvent-elle contribuer à atteindre un volume de production trois fois supérieur au volume de production actuel ? La réponse est tout simplement dans le recours à la technologie américaine dans le domaine agricole et l’élevage. Une vache laitière en Californie donne 50 litres de lait par jour quand une vache laitière en Algérie n’arrive même pas à la moyenne de 20 litres/jour. La satisfaction des besoins fondamentaux de la population algérienne passe par l’édification d’une économie fondée sur la valorisation des acquis des sciences et des technologies. Ce n’est pas un hasard si un des projets de partenariat algéro-amércain dans l’ouest du pays a été accompagné de la signature d’un accord de coopération entre l’université de Mascara et l’université de l’Iowa dans le domaine de la recherche agronomique. Dans les vastes plaines de l’Oranie et du Constantinois comme dans les vastes contrées du grand sud, la petite propriété n’a aucun sens économique. Pour nourrir les 50 millions d’Algériens en 2030 et pour se placer sur le marché agroalimentaire mondial comme un nouveau pôle d’excellence, l’Algérie peut et doit parier sur une agriculture moderne déployée sur de grandes surfaces et fondée sur l’application des biotechnologies et ce, en partenariat avec les grands groupes américains auxquels l’Algérie peut offrir des millions d’hectares à valoriser, une nappe phréatique considérable, une énergie abondante et à bon marché et enfin une jeunesse formée qui demande juste à être recyclée dans le système de formation-recherche-développement américain.

Le fait qu’une ferme pilote voit le jour dans la wilaya d’Adrar dans le sud algérien est à lui seul tout un symbole. Malheureusement, les gouvernements qui se sont succédé jusqu’ici à la tête du pays n’ont guère fait preuve d’imagination lorsqu’il s’est agi de choisir le modèle de développement puisqu’ils n’ont fait que copier servilement le modèle colonial qui a misé sur les régions du littoral dans une logique économique marquée par l’intégration verticale de la colonie à la métropole. La véritable indépendance de l’Algérie commencera le jour où on décidera courageusement de rompre avec cette logique. Cela passe nécessairement par un rééquilibrage de l’entreprise de développement du nord vers les régions des Hauts Plateaux et du grand sud. La ferme pilote d’Adrar ne permettra pas seulement au sud d’offrir le lait aux enfants algériens. Elle permet d’ores et déjà aux Algériens d’ouvrir les yeux sur les perspectives que l’Algérie pourrait tirer de la valorisation des richesses que recèle le grand sud dont la première est la nappe phréatique de l’Albien dont l’intérêt stratégique est supérieur à celui des autres ressources minières et fossiles. Au demeurant, l’Algérie a intérêt à peupler son grand sud sous peine de le perdre un jour sur l’autel des frustrations internes et des convoitises externes.

Par ailleurs, l’intérêt de ce projet dépasse de loin le domaine agricole. La même démarche peut être envisagée dans d’autres secteurs de l’économie nationale. Le principe général est le même : il s’agit de parier avant tout sur l’intelligence, les compétences nationales et le partenariat fructueux avec des groupes étrangers disposés à transmettre leur savoir-faire technologique. La question du partenariat international doit cesser d’être otage de débats idéologiques surannés pour être abordée sereinement et pragmatiquement sous l’angle d’une analyse et d’une prospective stratégiques renouvelées. Si pour des raisons historiques malheureuses, la France n’a pas su jusqu’ici proposer à l’Algérie des projets de partenariat à la hauteur des attentes et des possibilités de notre pays, la faute n’incombe pas seulement aux archaïsmes du capitalisme français ni aux lobbies colonialistes revanchards mais aussi aux bureaucrates qui squattent indûment l’Administration algérienne et qui n’ont pas su mettre à profit les opportunités existantes en France. En tout état de cause, l’Algérie doit apprendre à regarder vers d’autres horizons, comme l’a judicieusement fait remarquer l’année dernière le Dr Chikhoune surtout qu’elle ne manque pas d’atouts pour maximiser les opportunités offertes sur un marché mondial en voie de restructuration.

Tout en se félicitant de l’avancement de ce projet de ferme pilote, les Algériens ont le droit de savoir où en sont les autres projets de partenariat agricole signés l’année dernière avec les Américains, ils ont également le droit de savoir où en est l’ambitieux projet de pôle biotechnologique destiné à l’industrie pharmaceutique à Sidi Abdallah et qui doit être réalisé avec un consortium de laboratoires américains, comme ils ont également le droit d’interpeler la direction générale de Sonelgaz sur le projet d’installation en Algérie du groupe américain spécialisé dans les énergies renouvelables First Solar en vue de produire des panneaux photovoltaïques, projet évoqué l’année dernière à Alger par le Dr Ismael Chikhoune. A eux seuls, ces projets dans trois grands domaines stratégiques d’avenir peuvent propulser l’Algérie au rang des nations émergentes.

Le 31 mai 2016

* Mohamed Tahar Bensaada dirige l’Institut Frantz Fanon, un centre d’études politiques et stratégiques indépendant basé à Bruxelles.