La fin de la lune de miel entre les berbéristes et les islamistes

Il y a quelques mois, nous rapportions le fait apparemment curieux que des courants idéologiques et politiques aussi éloignés que les berbéristes et les islamistes se trouvaient côte à côte dans le Hirak à Alger et à Paris avec le soutien de leurs sponsors étrangers respectifs. Cette alliance opportuniste semble aujourd’hui en crise si on en croit la multiplication des incidents qui opposent les activistes de ces deux mouvances dans le cadre des rassemblements anti-régime qui se déroulent place de la république dans la capitale française. Sur les réseaux sociaux, les représentants de la tendance berbériste ont lancé une campagne virulente contre les islamistes de Rachad en les accusant de vouloir s’approprier et manipuler le Hirak. Dans une vidéo circulant sur la toile, on peut voir un activiste de Rachad hué et empêché de terminer son discours par des militants berbéristes dont le mot d’ordre est désormais ; « ni militaire ni islamique, république civile ! »

Le divorce entre ces deux tendances n’étonne guère les observateurs qui s’attendaient à cela tant les positions idéologiques et politiques des uns et des autres semblent si éloignées. Mais la question qui se pose est pourquoi ce divorce maintenant ? Que s’est-il passé entretemps pour que ces deux tendances finissent par se séparer ? Pour les observateurs qui suivent de près la scène politique algérienne, la réponse à la question est à rechercher dans l’évolution des positions des parrains étrangers respectifs de ces mouvances politiques. Le courant berbériste d’obédience laïque (FFS, RCD, MDS, PT, PST, UCP ) et leurs appendices dans la société civile est soutenu par les services français et par un certain nombre d’ONG américaines et européennes. Ce courant bénéficie également du soutien des réseaux de l’ex-DRS dissous et de certains clans influents au sein du pouvoir algérien. Le courant islamiste (  réseaux de l’ex-FIS proches de Belhadj, Rachad, Frères musulmans du MSP) est quant à lui soutenu par les services turcs et qataris mais également aussi par des ONG américaines.

Or, nous assistons depuis plusieurs mois à un conflit latent entre Paris d’un côté et Ankara de l’autre suite à l’intervention turque dans le conflit libyen, une intervention qui ne semble pas arranger les intérêts de la France dans la région. Pour des raisons différentes,  l’Algérie, qui a toujours refusé l’ingérence étrangère en Libye, ne voit pas d’un bon oeil l’intervention turque dans ce pays voisin avec lequel elle partage un millier de kilomètres de frontière commune. Ce fait explique le rapprochement objectif constaté ces dernières semaines entre Paris et Alger sur le dossier libyen. Ce rapprochement diplomatique a des conséquences directes sur la politique algérienne de la France. Dans ces conditions, Paris a été amené à conseiller à ses alliés algériens de se faire plus discrets. C’est ce qui explique la nouvelle tendance de la plupart des dirigeants du courant berbériste à Alger :  modérés à l’égard du pouvoir et virulents à l’égard des islamistes. Bien-sûr, le pouvoir algérien doit se frotter les mains à la suite de ce divorce. Mais il n’est pas le seul à s’en réjouir. Les Algériens qui aspirent à un véritable changement démocratique mais qui ne se font aucune illusion sur le rôle néfaste de ces deux mouvances doivent également se sentir soulagés tant l’alliance entre ces deux tendances était nuisible et avait fini par dénaturer complètement le Hirak populaire.

Mohamed Merabet