MT Bensaada analyse les résultats des élections législatives

L’annonce des résultats des élections législatives par le président de l’ANIE n’a pas manqué de susciter des interrogations qui se rapportent tant aux taux de participation qu’aux nouveaux rapports de forces qui vont caractériser la future Assemblée populaire nationale. Pour mieux décrypter les enjeux de ces élections, nous avons posé trois questions au politiste algérien Mohamed Tahar Bensaada de l’Institut Frantz Fanon.

Le président de l’ANIE vient d’annoncer que le taux de participation aux élections législatives du 12 juin dernier a été de 23%. Comment interprétez-vous ce faible taux de participation ?

Le pouvoir peut bien se targuer d’avoir réussi à organiser des élections législatives dans les conditions particulières de la pandémie de Covid-19 et de ses retombées économiques et sociales et de l’absence de consensus politique malgré une conjoncture géostratégique régionale incertaine.  Cependant, le taux de participation de 23% devrait interpeler sérieusement l’ensemble de la classe politique algérienne. Bien-sûr, la forte abstention n’a rien à voir avec les appels au boycott lancés par des partis qui restent au demeurant très minoritaires. Le taux d’abstention exprime plutôt une désaffection profonde de larges secteurs de la société à l’égard de la politique en général et de tout ce qui  s’y rapporte de près ou de loin. Cette désaffection n’est pas nouvelle mais elle était tout simplement cachée auparavant par le gonflement artificiel du taux de participation par les autorités. Aujourd’hui, le taux de participation apparait tel qu’il est dans la réalité à partir du moment où l’organisation des élections par l’ANIE ne permet pas de fausser les chiffres comme cela se faisait auparavant ou en tout cas pas dans les mêmes proportions. Cependant, même si on tient compte de ce paramètre, le phénomène n’en reste pas moins grave et demande à être traité sérieusement. On ne peut pas, par exemple, se contenter de la réponse donnée par le président Tebboune qui a déclaré le jour du scrutin que le taux de participation n’était pas important pour lui dès lors que les représentants qui seront élus sont dépositaires de la légitimité populaire. Il  ne faut pas non plus se cacher derrière le fait que la désaffection à l’égard des élections représente un phénomène universel comme le font les thuriféraires du régime. D’abord, le taux de 23% n’est pas comparable par exemple au taux de 42% enregistré lors du second tour des législatives françaises de 2017. Ensuite, contrairement à l’Algérie, la France n’est pas visée par des entreprises étrangères de démoralisation et de subversion qui s’appuient notamment sur le déficit de confiance d’une partie des Algériens à l’égard de l’Etat. Bien entendu, quand je soulève ce problème, je ne dis pas que la responsabilité en incombe uniquement aux autorités. Les partis politiques ont aussi leur part de responsabilité et au lieu de jouer toujours le rôle de la victime, ils devraient se retrousser les manches, se doter d’un véritable programme alternatif a et aller sur le terrain pour réveiller les Algériens et gagner leurs faveurs électorales. A cet égard, je voudrais relever le chiffre particulièrement alarmant du taux de participation des Algériens à l’étranger inférieur à 5%. Ce chiffre devrait interpeler l’Etat algérien et en particulier l’institution chargée de la protection de la communauté algérienne à l’étranger. Cette dernière devrait s’atteler à une analyse sérieuse et objective de ce phénomène qui pourrait cacher plusieurs enjeux en lien direct avec la sécurité nationale.

Les premiers résultats du scrutin montrent qu’aucune force politique n’a obtenu de majorité absolue. Quelles pourraient en être les conséquences politiques ?

Effectivement, les partis traditionnels sur lesquels s’appuyait le pouvoir pour gouverner (FLN, RND) n’ont pas réussi à avoir une majorité absolue puisqu’ils totalisent tous les deux environ 160 sièges au lieu des 205 requis. Il fallait d’ailleurs s’attendre à pareil scénario vu le nouveau système électoral adopté qui permet une meilleure représentation du corps électoral mais qui rend très difficile l’émergence d’une majorité absolue. Même si le président Tebboune décidait de s’appuyer sur le FLN et le RND, il serait obligé de chercher une ou deux autres forces pour constituer une majorité présidentielle. Nous nous trouvons devant plusieurs scénarios possibles. Une majorité présidentielle avec le FLN, le RND et le bloc parlementaire des indépendants comme on peut imaginer plusieurs autres types de coalition nationale. Une coalition regroupant le FLN, le RND et le MSP que le mouvement El Bina pourrait éventuellement rejoindre.  Le FLN , le RND et El Bina à eux seuls disposeront d’une majorité trop courte pour gouverner à trois. Par contre, on peut imaginer une coalition formée de trois partis nationalistes (FLN, RND, Front El Mostakbal). En termes politiques, le fait qu’aucune force politique ne pourrait à elle seule avoir de majorité absolue est une bonne chose pour le système semi-présidentiel  en vigueur en Algérie dans la mesure où cela conforte la marge de manoeuvre du président de la république dans le cadre de l’application de son programme et pourrait donner plus de cohérence à l’action gouvernementale. Par ailleurs, cette nouvelle donne politique pourrait aider les élites politiques algériennes, toutes tendances confondues, à apprendre la culture du compromis et du consensus en lieu et place des discours d’exclusion et d’anathèmes. A cet égard, il est attendu du président de la république un geste d’ouverture en direction de l’ensemble des forces politiques, y compris celles qui ont appelé au boycott des élections même si ces dernières devraient également de leur côté se ressaisir et comprendre que la politique de chantage et l’instrumentalisation de la rue pour imposer des choix minoritaires ne fonctionnent apparemment pas face à un Etat qui dispose de ressources légales et institutionnelles non négligeables. Ces ressources devraient d’ailleurs le dispenser des dérives autoritaires constatées ici et là même s’il est vrai que ces dérives viennent parfois en réponse aux provocations dans lesquelles excellent certains acteurs politiques en vue de compenser leur faible représentativité sociale.

Au lendemain de l’annonce des résultats des élections, le président du MSP a réagi en dénonçant ce qu’il a appelé les graves dépassements qui auraient empêché selon lui son parti de briguer un meilleur score. Qu’en pensez-vous ?

La réaction du président du MSP contient plusieurs choses. D’abord, il remet en question les résultats annoncés par le président de l’ANIE et c’est son droit à la seule condition de sortir toutes les preuves qui corroborent ses accusations. Monsieur Makri affirme que son parti a interpelé les représentations de l’ANIE au niveau de plusieurs wilayas pour dénoncer certains dépassements sans avoir de réponse. Après l’annonce des résultats officiels par le Conseil constitutionnel, le MSP peut comme c’est son droit introduire des recours s’il a des preuves qu’il a été lésé dans certaines wilayas comme il l’affirme. Mais même si le Conseil constitutionnel venait à corriger ces données, ce qui ferait bénéficier le MSP de sièges supplémentaires, cela ne sera pas suffisant pour qu’il devienne la première force politique du pays. Et même si cela devait un jour être le cas, les dirigeants du MSP doivent apprendre à travailler dans un contexte où aucune force politique ne peut gouverner à elle seule l’Algérie, d’où l’importance de la confection de compromis qui ne remettent pas en question les principes sur lesquels les uns et les autres fondent leur action politique. Par exemple, les partis nationalistes et les partis islamistes présents sur la scène politique algérienne se réclament dans leur ensemble des principes de la déclaration du 1er novembre. Il y aurait donc moyen d’arriver à un consensus si les dirigeants de ces partis sortaient un peu de la politique politicienne. Mais dans la déclaration de monsieur Makri, il y a  une autre chose plus inquiétante à mon avis. C’est quand il a insisté sur le fait que le président Tebboune n’est pas responsable des dépassements incriminés. Il a d’ailleurs également disculpé à ce propos le président de l’ANIE. En disant cela, monsieur Makri ne se rend pas compte qu’il  a lancé une bombe politique. Cela voudrait dire qu’il y a des forces au niveau des wilayas qui n’obéissent ni au président de la république ni au président de l’ANIE. Même si Makri n’a pas désigné cette force mystérieuse, le regard des observateurs se dirige naturellement vers les services de sécurité et si ces derniers échappent au pouvoir du président de la république, cela signifie qu’ils ont exécuté les instructions d’un autre centre de pouvoir. On pense évidemment à l’état-major de l’ANP. Je pense que le président du MSP aurait du s’abstenir d’une pareille déclaration surtout dans la conjoncture actuelle où le pays fait face réellement à de graves menaces extérieures qui nécessitent un front intérieur solide. La déclaration de Makri est d’autant plus malheureuse qu’elle ne manquera pas d’être utilisée par tous ceux qui ciblent actuellement l’armée algérienne qui reste quoiqu’on dise la colonne vertébrale de l’Etat-nation algérien. Monsieur Makri aurait pu  s’inspirer de la position défendue en 1995 par le défunt Mahfoud Nahnah qui a préféré à l’époque sacrifier les intérêts étroits de son parti sur l’autel de la cohésion nationale. Je ne suis pas dans le secret du prince pour juger de la pertinence des accusations lancées par Monsieur Makri mais même à supposer qu’il y ait des lectures différentes au sein du pouvoir concernant la place que devraient avoir les partis islamistes  (surtout le MSP) dans la nouvelle configuration politique nationale eu égard à leurs relations extérieures qui font l’objet d’une suspicion légitime, je ne pense pas que cela pourrait aller jusqu’à un conflit entre la présidence et l’état-major de l’armée  dès lors qu’il s’agit d’une question de sécurité nationale qui constitue une ligne rouge autour de laquelle il ne saurait y avoir de divergence au sommet de l’Etat algérien.