Avons-nous un plan B pour sauver l’Algérie ?

 Par Pr Chems Eddine CHITOUR

 

«Dans un discours prononcé à la Maison-Blanche, le président Jimmy Carter en 1977 évoque la crise énergétique qui frappe alors les économies occidentales et il y glisse cette réflexion sibylline: si nous indexons le dollar sur les matières premières, son potentiel est grand, mais limité; si nous indexons le dollar sur la connaissance, alors son potentiel est infini.»

53 ans d’indépendance après, l’Algérie est plus que jamais à la croisée des chemins. Cependant, qu’on se le dise, les nuages s’accumulent, Il est important pour la génération montante de savoir que nous avons pris un faux départ dès l’indépendance. Souvenons-nous les années soixante, la vague de décolonisation a donné l’illusion que les pays étaient réellement indépendants et que tout était permis, la misère morale et matérielle devait faire place à la liberté de parole, de travailler, bref, de donner la pleine mesure de son talent. Cruelle erreur, les espoirs fuirent rapidement Aimé Césaire, en son temps, jugeant d’un oeil très critique cet hold-up de la liberté, de la démocratie, eut cette formule lapidaire sans appel: «La lutte pour l’indépendance, c’est l’épopée! L’indépendance acquise, c’est la tragédie.» A l’Indépendance, nous tirions notre légitimité internationale de l’aura de la glorieuse Révolution de Novembre.

L’Algérie à la croisée des chemins
La flamme de la Révolution s’est refroidie en rites sans conviction, pour donner l’illusion de la continuité. Mieux encore, le moteur de la Révolution qu’était le FLN a été confisqué au profit d’une caste pendant un demi-siècle. Le FLN postrévolution s’accroche au pouvoir-, n’a pour programme que l’opportunisme- et ceci il faut bien le dire, d’un manque cruel de compétence de ceux qui se l’ont approprié. Pour le regretté Boudiaf: «Le FLN est mort en 1962.» Le FLN qui a rempli son immense tâche historique qui a abouti à l’indépendance est la propriété de tous les Algériens. Il doit laisser la place à d’autres partis politiques qui ont pour légitimité l’intelligence, le savoir, le Web2.0

L’Algérie actuelle, qu’est-ce- que c’est?
Un pays qui se cherche, qui n’a pas divorcé avec ses démons du régionalisme, du népotisme? Qui peine à se déployer, qui prend du retard, qui vit sur une rente car elle n’est pas celle de l’effort, de la sueur, de la créativité? C’est tout cela en même temps! Malgré une chute drastique des revenus du pétrole, elle ne prend pas assez compte du danger et les réformes tardent à venir, bloquées d’une façon incompréhensible alors qu’il s’agit de ne pas perdre du temps car le monde bouge. Nous n’avons plus le droit de continuer à vivre sur notre passé et penser que la rente réglera nos problèmes. Si pendant les premières années de l’indépendance la massification de l’éducation était légitime. Résultat des courses: malgré des moyens colossaux, l’école a été qualitativement un échec. Le niveau est déplorable, nous le voyons dans le supérieur. Justement, l’enseignement supérieur est analogue à un train fou que personne ne peut arrêter. Il délivre des diplômes qui correspondent bien souvent à des métiers qui n’existent pas. On comprend alors pourquoi la formation d’ingénieurs a été supprimée dans les universités au profit d’un LMD dont on découvre graduellement les errements et les limites. Plus que jamais, des états généraux s’imposent pour mettre à plat ce qui ne va pas. L’Algérie de 2015 importe pratiquement tout, a perdu son savoir-faire que l’on tente difficilement de réhabiliter, Elle n’a plus la foi, ce feu sacré qui nous faisait espérer en l’avenir avec 100 fois moins de moyens actuellement. Le jeune Algérien de 2015 bavarde avec un portable vissé à l’oreille, il tchatche sur Internet, roule pour certains en 4×4, et pense que tout lui est dû. Il ne sait pas ce que c’est que l’effort, l’honnêteté, les économies, il pense que l’école et l’université ne servent à rien prenant l’exemple sur les troubadours et les footballeurs qui gagnent en une saison ce que gagne un enseignant en une vie…

Qu’est-ce qu’être indépendant au XXIe siècle?
Qu’est-ce qu’être indépendant quand on est dépendant à 80% pour sa nourriture, à 100% pour sa construction, les transports, quand on est dépendant à 100% pour ses achats de tous les jours. 80% de notre nourriture dépend de l’étranger, l’industrie ne participe qu’à 5% de la richesse malgré la richesse des effets d’annonce dans le domaine industriel qui sont sans lendemain parce qu’indexés sur une vision qui ne fait pas appel aux Algériens. L’Etat est artificiellement riche, une population en majorité prête toujours à l’émeute, pour n’importe quoi. Qu’est-ce qu’être indépendant quand nous ne pouvons plus défendre notre territoire qu’avec des armes classiques face aux drones, aux fusils laser, aux avions F16 et autres foudres? Qu’est-ce qu’être indépendant quand notre système éducatif est en miettes et que l’on casse les dernières défenses immunitaires que sont les formations technologiques (ingéniorat). Sommes-nous devenus plus autonomes? Avons-nous un taux d’intégration et un savoir faire réel? Avons-nous des hôpitaux de qualité, une école qui fait réussir? Une université vue comme un ascenseur social? Rien de tout cela! Notre mimétisme de l’Occident ne concerne que la dimension consommation et non dans celle du travail, de l’effort, de l’intelligence et de l’endurance. L’Algérie est devenue un immense tube digestif, décervelé, l’Algérien veut, sans effort, tout et tout de suite. L’Algérie peine toujours à se redéployer dans un environnement mondial de plus en plus hostile. Avec une mondialisation dimensionnée à la taille des plus grands, des plus forts, des plus intelligents la lutte est implacable. Des alliances se nouent, d´autres se dénouent. Quoi qu´on dise, les regards sont braqués sur l´Algérie. Le démon du régionalisme, l’échec du vivre-ensemble, l’appât du gain et pour notre malheur, l’étendue du pays, sa richesse en hydrocarbures et en terres agricoles, sont autant de critères de vulnérabilité. On ne laissera pas tranquille un pays de 2 387 642 km² – le premier pays d’Afrique après la partition du Soudan- avec sa profondeur stratégique, son potentiel énergétique, ses différents climats… son potentiel archéologique et touristique.

Ce qui se passe dans le monde
Pour avoir une idée de ce que c’est que le pouvoir de l’intelligence, nous devons prendre exemple sur les meilleurs et non sur les rentiers du Golfe. En 2011, l’Ocde a classé Israël le pays au niveau d’éducation le plus élevé au monde, après le Canada. (taux d’alphabétisation de 97,1% contre 40% dans les pays musulmans). Depuis 15 ans, les dépenses en recherche et développement y sont, compte tenu du nombre d’habitants, les plus élevées au monde. Alors que l’Europe y a consacré 3% de son PIB, Israël 5%, soit 2 fois plus que la moyenne des pays de l’Ocde. Depuis 2000 pas moins de six prix Nobel israéliens et américains. Israël détient le record du nombre de start-up par habitant: 3850, soit une start-up pour 1844 habitants. Les seuls centres de R&D de Microsoft, Apple et Cisco dans le monde en dehors des Etats-Unis se trouvent en Israël. La première filiale de Intel hors des Etats-Unis a été ouverte en Israël. Le laboratoire Motorola à Haïfa est le plus grand centre de R&D dans le monde. La plus grande partie du système d’exploitation Windows XP a été réalisée par Microsoft Israël. Dans presque tous les ordinateurs du monde, il y a des processeurs qui ont été inventés en Israël. Mieux encore, pour ceux qui doutent, et ils sont nombreux en Algérie, du potentiel de l’énergie solaire l’exploit de Solar Impulse 2 est là pour montrer aux jeunes Algériens qu’à côté des soporifiques du football, de la drogue vendue en toute impunité par les opérateurs téléphoniques sous forme de Adhadrou de bavardage inutile, il y a la science, l’effort. L’effort admirable en solitaire du pilote André Borschberg ingénieur qui aura volé près de 120 heures, sur Solar Impulse 2. Pour 8000 km environ, parcourus à une vitesse variant entre 70 et 100 km/h, chacun des cinq jours, l’aéroplane a grimpé à 10.000 m d’altitude pour recharger ses batteries avec ses 17.248 cellules photovoltaïques.

L’économie de la connaissance est notre nouvelle renaissance
Il m’est agréable de signaler le cas d’un jeune Français Idriss, Aberkane, brillant ingénieur mathématicien dont la devise est:«L’imagination vous emmène partout.» Ecoutons-le: «Imaginez une économie dont la ressource est infinie. Imaginez une économie où, si vous donnez quelque chose, il vous appartient encore. Imaginez une économie où deux et deux font cinq. Imaginez une économie où le chômeur possède plus de pouvoir d’achat que le salarié. Si les matières premières sont finies, la connaissance est infinie. Donc si notre croissance est basée sur les matières premières, elle ne peut pas être infinie. Si elle est basée sur la connaissance, une croissance infinie est très facile à atteindre. Et c’est une bonne chose car l’économie de la connaissance recouvre la totalité du développement durable. Car une économie croissante indexée sur les ressources, même renouvelables, n’est pas durable. Une économie croissante, indexée sur la connaissance, est durable. (…) En 1984 Steve Jobs rencontre François Mitterrand et affirme «le logiciel, c’est le nouveau baril de pétrole». Trente ans plus tard Apple possède une trésorerie de la taille du PIB du Vietnam ou plus de deux fois et demie la totalité du fonds souverain algérien – basé lui sur les ressources – et l’homme le plus riche du monde n’est pas un pétromonarque mais un magnat du logiciel. Quand la Corée du Sud, dont l’économie croit exponentiellement depuis les années 1950 sans quasiment aucune réserve de matière première, a expérimenté un Ministère de l’Economie de la Connaissance, ou quand Barack Obama courtise les meilleurs geeks de son pays comme Elon Musk et Taylor Wilson, et qu’il en nomme même – comme Steven Chu et Ernest Moniz – ministre de l’Energie, un poste autrefois dévolu aux vieux briscards des hydrocarbures.»(1)
La connaissance mondiale double environ tous les 9 ans, un chiffre hallucinant qui signifie qu’en moins d’une décennie, l’humanité produit plus de connaissances nouvelles que dans les sept mille dernières années de son histoire. Car si la connaissance est le nouveau pétrole, le Knowledge Flow est le nouveau Cash Flow. L’économie de la connaissance est une révolution. «Quand on partage un bien matériel on le divise, quand on partage un bien immatériel on le multiplie». Donner 20 euros ou 20 millions d’euros prend virtuellement la même durée: une signature sur un chèque. Les regroupements de connaissance ne sont pas linéaires. Posséder 20 euros et 20 euros c’est en posséder 40. Mais savoir deux choses en même temps c’est plus que savoir deux choses séparément.»(1).
«Voici une économie qui ne ressemble pas à l’économie. Mieux, elle en défie toutes les lois: sa matière première est inépuisable, elle favorise et récompense le partage, et son pouvoir d’achat – infini – ne dépend que de chacun d’entre nous. Idriss J. Aberkane, pressent les dangers et les limites d’une économie droguée aux matières fossiles et ouvre, l’air de rien, un nouveau paradigme. Dans la Silicon Valley, une poignée d’entrepreneurs partagent le même rêve. De Steve Jobs (Apple) à Sergueï Brin (Google), de Mark Zukerberg (Facebook) à Elon Musk (Tesla), ces
«héros de la Valley» vont faire la démonstration que «la connaissance est de loin la ressource économique la plus essentielle à un pays». Aberkane illustre la «malédiction» du pétrole en comparant les exportations de la Russie et de la Corée du Sud, petit pays qui a osé expérimenter un ministère de l’économie de la connaissance: «En ne possédant qu’un tiers de la population russe et avec un territoire 171 fois plus petit, la Corée du Sud exporte davantage que la Russie, car, au lieu d’entretenir la paresse mentale qu’induit inévitablement l’accès aux ressources naturelles bon marché, elle est forcée d’exporter de la connaissance et du savoir-faire.» (2)

Comment les mathématiques changent le monde
Chacun sait que les mathématiques mènent à tout. Ainsi: «Une femme a reçu l’équivalent du prix Nobel pour les mathématiques, qui est remis tous les quatre ans. Maryam Mirzakhani est tout un symbole: née à Téhéran en 1977 enseigne aujourd’hui à Stanford. (…) Pourquoi est-il tout à fait normal que la chef de l’Etat Coréen se présente en personne pour inaugurer le Congrès international des mathématiciens, en grande pompe (…) les mathématiques sont aussi plus prosaïquement une source exceptionnelle de développement économique. Sans aucun matériel ni expérimentation coûteuse, en n’utilisant que son esprit, un papier et un crayon, le mathématicien change silencieusement le monde, et génère accessoirement des centaines de milliards de dollars de valeur économique in futurum. Si la Corée a sorti le grand jeu pour montrer tout l’intérêt politique et économique qu’elle porte aux mathématiques(3)
Selon le quotidien Shargh, 76% des Iraniens médaillés dans les Olympiades internationales en mathématiques, entre 1993 et 2013, se trouvent actuellement dans les plus grandes universités américaines (…) De nos jours, l´Iran est une puissance technologique, performante. Elle est à des années-lumière que les autres pays musulmans. Elle fabrique ses chars, ses avions et ses drones. Dans un article élogieux, publié le 18 août 2008, le journal américain Newsweek nous lisons: «En 2003, surprise des responsables du département d’«Electronical Engineering» de l’Université de Stanford, qui constatent que les meilleurs étudiants aux difficiles épreuves d’admission à leur cycle Ph.D. proviennent d’un même pays et d’un même établissement: la «Sharif University of Science and Technology» en Iran. La formation de l’élite sélectionnée sur la base des mathématiques ne doit pas souffrir de retard. Il nous faut mettre en place dès à présent une vingtaine de lycées d’excellence. Parmi les autres priorités c’est s’engager sans atermoiements dans une transition énergétique qui nous permettra de mettre en place la vérité des prix de l’énergie de l’eau, tout en nous lançant d’une façon résolue dans les énergies renouvelables et le développement durable. Nous devons revoir les programmes pédagogiques notamment dans l’éducation où on peut penser dès à présent à un baccalauréat du développement durable dont les prolongements seront pris en charge dans les métiers aussi bien à la Formation professionnelle que dans l’enseignement supérieur. Par ailleurs, il nous faut mettre en place la culture numérique pour le plus grand nombre: l’Université de tous les savoirs, les Mooc qui sont des cours en ligne, avec des dispositifs interactifs, dont l’auditoire est théoriquement illimité, le cartable électronique pour les élèves. Retenons que la Robotique, l’intelligence artificielle, les nanotechnologies, les énergies du futur requièrent des compétences liées aux mathématiques qu’il faut réhabiliter au même titre d’ailleurs que la formation d’ingénieurs qui a été laminée par le LMD. La situation du pays impose un consensus politique sur les grands défis qui seront là quels que soient les pouvoirs en place. La transition énergétique, le sauvetage du système éducatif ne doivent souffrir de mon point de vue aucun calcul politicien, il y va de l’avenir de ce pays et en cet anniversaire, nous ne devons pas nous cacher la réalité des choses, parler vrai à cette jeunesse en panne d’espérance est un devoir, le meilleur hommage que l’on puisse rendre à nos martyrs est d’aller vers la science du parler vrai et d’inciter les jeunes à l’effort, à l’endurance et à la performance au lieu de les abrutir dans des concerts sans lendemain.

1.http://www.huffingtonpost.fr/idriss-j-aberkane/economie-de-la-connaissance_ b_5443212.html
2.Idriss J. Aberkane La connaissance, le désir et la compétence Le Monde le 29 mai 2015.
3.http://www.huffingtonpost.fr/idriss-j-aberkane/medaille-fields-mat