Qui veut casser l’IMSI de l’Université d’Oran 2 Mohamed Benahmed ? Par Mohammed Futuwwa

La sécurité et la maintenance industrielles constituent  des secteurs hautement stratégiques pour les  économies développées du monde occidental, issues de la révolution industrielle, (et de l’Extrême-Orient), comme pour les économies des pays du Sud qui tentent, dans des conditions, de sortir de la dépendance et du mal-développement. Pour ces derniers pays, dont l’Algérie, ces difficultés sont amplifiées par le fait qu’ils ne peuvent s’appuyer sur une culture industrielle endogène. La pénétration coloniale, on ne le dira jamais, n’as pas uniquement cassé les structures sociétales, psychiques et culturelles des sociétés des Trois A (Afrique, Asie, Amérique latino-afro-indienne), elle aussi surdéterminée leurs économies en les inscrivant dans un « capitalisme dépendant ».

Dans les économies développées, la sécurité et la maintenance industrielles sont valorisées à un tel point que les pouvoirs publics accordent des subventions, des réductions des primes d’assurance, sans parler des exonérations d’impôts, pour les organisations, et notamment les entreprises, qui décident d’invertir dans la sécurisation des lieux de production, le renforcement qualitatif des procédures de maintien (et même d’augmentation) des performances des outils de production, sans oublier d’évoquer la formation des employés aux enjeux sécuritaires.

L’existence en Algérie d’un Institut de Maintenance et de Sécurité Industrielle (IMSI), avec ses 1 841 étudiants, dans le cadre de l’Université Oran 2 Mohamed Benahmed, est un acquis de première importance pour le futur du pays, notamment dans le contexte de cette nécessité historique : le dépassement d’une économie fondée sur le rente énergétique à une économie basée sur la production et la connaissance, et cela dans le respect de l’environnement. L’IMSI accueille des étudiants des 4 coins du pays, car sa filière à recrutement est nationale. L’ISMI a de quoi tenir. En effet, cet institut est une émanation de l’Institut Algérien du Pétrole (IAP), crée en 1965, avec comme objectif de constituer un corps de cadres et d’ingénieurs qualifiés. Aujourd’hui, l’IAP est reconnu, y compris à l’échelle internationale comme un pôle d’excellence (avec une École à Boumerdes, et cinq centres de formation de techniciens et de techniciens supérieurs, à Hassi Messaoud, Es Sénia, Arzew, Annaba et Skikda). Des milliers d’ingénieurs et de techniciens supérieurs et techniciens dans une quinzaine de spécialités de l’industrie des hydrocarbures, ont contribué au développement de l’industrie pétrolière nationale.

L’ISMI a largement dépassé la problématique pétrolière pour en prendre en charge les défis de l’hygiène, de la sécurité et de l’environnement. Les dossiers sont nombreux, et ils font l’objet de la formation des étudiants à l’Université Oran 2 Mohamed Benahmed. Ces dossiers traitent de la question des risques (chimiques, électriques, mécaniques, professionnels), des phénomènes physico-chimiques dangereux, des diverses méthodes de recensement d’évaluation des risques, des accidents de travail et des maladies professionnelles, mais aussi de la dynamique de gestion des crises et du management, de l’ergonomie et de la psychologie au travail, de la prévention sanitaire, de l’organisation de la sécurité, des nuisances, de l’hygiène.

L’ISMI a souvent été le théâtre d’importants mouvements sociaux, de protestations étudiantes, comme d’ailleurs dans les autres composantes de l’Université Oran 2 Mohamed Benahmed. Mais celui enclenché à la fin du mois de novembre 2016 est particulièrement dur, avec un mélange de revendications qui peuvent l’objet d’une négociation avec les autorités administratives et pédagogiques de l’Université, et d’autres qui sont manifestement placées là pour pourrir la situation. Il n’est pas dans notre propos de retracer les péripéties de quatre mois d’un mouvement social sectoriel, mais de souligner que certaines revendications trahissent un manque évident de sens national et de patriotisme éclairé. Cela est d’autant plus inquiétant que, comme nous l’avons dit, l’IMSI est un pôle d’excellence techno-scientifique.

En lisant les textes des revendications des étudiants grévistes, on remarque que l’une des exigences est le démantèlement de l’Université Oran 2 Mohamed Benahmed. En effet, ils souhaitent que l’IMSI sorte de la tutelle de l’Université, acquiert le statut d’école, et cela sous la tutelle directe du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique. L’une des raisons à cela est qu’ils veulent s’arroger un droit au travail quasi immédiat, après l’obtention du diplôme. Mais, pour être recrutés automatiquement, ils doivent sortir la commune condition étudiante. Sortir de l’Université, devenir indépendant, ne correspondant en aucune façon à une exigence éducative et pédagogique, mais à une stratégie sociale visant essentiellement l’emploi et le salaire. Nous sommes loin d’une éthique du travail social, d’une économie du bien commun et du sens national. Ces étudiants grévistes s’inscrivent déjà dans des logiques carriéristes.

Certes, toutes les revendications ne sont pas insensées, comme celles qui visent « l’activation du partenariat avec les sociétés nationales comme Sonatrach et Sonelgaz ». De même, la prolongation des périodes de stage avec une prise en charge, par les pouvoirs publics ou l’IMSI peut largement être négociée avec la direction de l’université.

Selon des observateurs de la scène universitaire, des militants étudiants largement engagés dans le mouvement navigueraient dans plusieurs mouvances politiques. On comprendrait mieux, dans ces conditions, cette stratégie du pourrissement de la situation. L’un des aspects qui semblent le confirmer est cette logique antinationale à l’oeuvre, à travers la demande de remise en question de la politique gouvernementale de désenclavement socio-économique des wilayas du Sud. Le 11 mars 2013, le Premier ministre M. Abdelmalek Sellal avait rendu public une « instruction relative à la gestion de l’emploi dans les wilayas du Sud. » Parmi les mesures concrètes pour traiter la question de l’emploi et du chômage qui frappe particulièrement les jeunes, dans les wilayas du Sud, figure la priorité de leur recrutement par les entreprises. « Le recours au recrutement d’une main-d’oeuvre  hors wilayas n’est autorisé que dans la proportion des postes à pourvoir n’ayant pas de profil correspondant localement » précise notamment l’instruction du Premier ministre. Ces mesures, qui incluent aussi la formation, ne sont pas purement techniques, mais éminemment, car elles entendent sortir le Sud de sa marginalité (pour éviter en particulier que ces wilayas ne deviennent  demain la matrice de toutes les crises de la Nation : crise migratoire, crise sécuritaire avec l’Aqmi, crise berberiste-mozabite, crise frontalière avec le royaume marocain, etc.). Or, les étudiants grévistes de l’IMSI, au lieu de contribuer à faire converger leurs espérances légitimes (l’emploi, le travail, le statut, le salaire) avec celles des étudiants et des jeunes du Sud, versent dans une opposition, de fait antinationale, aux wilayas du Sud. Ils dénoncent donc les conditions de recrutement posées par l’Agence Nationale de l’Emploi (ANEM) qui serait, à leurs yeux, « régionaliste », ce qui un comble alors que la finalité est justement d’oeuvrer à une meilleure intégration nationale et sociale, à l’échelle de tout les pays. La presse rapportait ainsi les propos d’un gréviste qui affirmait : « Vous savez, nos spécialités nous confèrent des compétences pour travailler essentiellement au Sud du pays alors que la politique d’emploi nous prive de nos chances sous prétexte que nous venons d’autres régions que Ouargla ». Les autorités administratives de l’Université sont prêtes, ultime mesure, à faire de ce premier semestre , un « semestre blanc »…

Cette situation de pourrissement, sur fond de crise des budgets ministériels, est inquiétante, d’autant plus les grévistes de l’IMSI se trouvent renforcés par un autre mouvement de protestation, celui des étudiants de pharmacie qui font partie de l’Université d’Oran 1. Il apparaît de plus en plus que ces luttes sociales, qui peuvent au départ avoir des raisons légitimes, s’inscrivent dans la fabrication d’un climat anxiogène, à l’approche des élections présidentielle et législative. Quelles sont les forces politiques qui manoeuvrent dans l’ombre ? Quels sont les agendas secrets des déstabilisations en cours ?