Analyse : Le mouvement social de Ouargla une chance pour la nation
Le mouvement de protestation des jeunes de la wilaya de Ouargla est en train de prendre une ampleur sociale et politique sans précédent. Aux revendications sociales légitimes de la population, le pouvoir, par la voix du premier ministre, Ahmed Ouyahia, et ses supplétifs dans les médias et la soi-disant « société civile », répond par le dénigrement et la diffamation. Un épiphénomène comme la prière collective en plein air à la suite du boycott du spectacle de rai a été monté en épingle, par certaines voix, pour faire oublier l’essentiel, à savoir la révolte légitime de toute une population contre ses conditions de vie lamentables.
Pour comprendre les enjeux de ce mouvement social, nous avons interrogé Mohamed Tahar Bensaada, de l’Institut Frantz Fanon. Ce dernier, qui a d’abord tenu à exprimer son soutien inconditionnel au mouvement social, a commencé par une mise au point concernant l’évènement qui a été au centre de la polémique à savoir l’empêchement du spectacle par les manifestants en colère : « Même si le boycott d’un spectacle musical, de quelque nature qu’il soit, est toujours regrettable, la véritable question que ces nouveaux directeurs de conscience aurait du se poser est comment se fait-il qu’on soit arrivé là ? A qui en incombe la responsabilité ? Comment qualifier le comportement d’un Etat qui prive ses citoyens des conditions de vie élémentaire (emploi, eau potable, électricité, évacuation des eaux usées, hôpital, etc.) et qui vient leur proposer un spectacle rai dans une chaleur qui avoisine les 50 degrés ? »
Concernant les inquiétudes exprimées par certains intellectuels qui ont cru voir dans la prière collective organisée par les manifestants de Ouargla le risque d’un retour à la situation de triste mémoire qui avait précédé la tragédie nationale des années 90, MT Bensaada a tenu à mettre les points sur les « i » : « A supposer qu’il y ait des tendances extrémistes à l’oeuvre au sein de la jeunesse, au demeurant très minoritaires, à Ouargla comme ailleurs dans toutes les wilayas du pays, le meilleur moyen de les contrer ce n’est pas en ignorant les revendications légitimes de la jeunesse et en cultivant l’amalgame entre religiosité et extrémisme mais en mettant en œuvre une dynamique de développement global fondée sur l’accès à l’éducation et à la culture pour tous et qui devrait passer nécessairement en Algérie par un nouvel équilibre régional. Pour cela, il est urgent de rompre avec les pratiques héritées du régime colonial qui ont privilégié injustement quelques wilayas du nord du pays. Ces pratiques deviennent chaque jour suicidaires dans la mesure où elles risquent de déboucher sur un système segmentaire à l’instar de ce qui existe dans certains pays du Moyen Orient où une minorité ethnique ou religieuse a fait main basse sur les appareils administratif, politique et économique du pays au risque de compromettre la cohésion nationale et de créer les conditions propices à l’éclatement de la nation et à l’intervention étrangère. A cet égard, le mouvement de protestation sociale qui est en train de se développer dans les wilayas du sud et des Hauts Plateaux constitue un sérieux avertissement en même temps qu’un évènement de bonne augure qui devrait pousser les décideurs à rompre progressivement avec les pratiques héritées du colonialisme en se tournant sérieusement vers le réservoir humain des wilayas du sud et des Hauts Plateaux et leurs élites pour reconstruire l’Etat algérien sur de nouvelles bases en accord avec l’esprit des textes fondateurs de la Révolution algérienne. »