Décryptage : La mafia politico-financière renverse Abdelmadjid Tebboune
Que s’est-il passé au sommet de l’Etat durant ces deux dernières semaines ? Comment expliquer la soudaine et brutale destitution du premier ministre Abdelmadjid Tebboune ? Pour les observateurs qui ont suivi le bras de fer entre Abdelmadjid Tebboune et le président du FCE, Ali Haddad, la mafia politico-financière coalisée autour de cet homme d’affaires a finalement eu le dernier mot. Les jours de Abdelmadjid Tebboune à la tête du gouvernement étaient comptés à partir du moment où les Algériens ont pu voir l’homme fort de la présidence, Saïd Bouteflika, bras dessus , bras dessous, avec le très controversé homme d’affaires et son comparse de l’UGTA, Abdelmadjid Sidi Saïd, lors des funérailles de l’ancien premier ministre, Réda Malek. L’étau a commencé à se resserrer autour de Abdelmadjid Tebboune lorsque la chaîne privée Ennahartv a diffusé un message attribué au président de la république qui recadre le premier ministre dans son bras de fer avec les hommes d’affaires, un message que des sources bien informées nous ont assurés qu’il émanait du directeur de cabinet de la présidence de la république, Ahmed Ouyahia. Ce dernier ne pouvait agir de la sorte sans l’aval de Saïd Bouteflika.
Les observateurs que nous avons pu interroger à chaud ne sont pas étonnés de la tournure des évènements même s’ils ne s’attendaient pas à un dénouement aussi rapide et aussi brutal. Pour le directeur de l’Institut Frantz Fanon, Mohamed Tahar Bensaada, « les dés étaient pipés. Saïd Bouteflika et ses amis au sein du pouvoir pouvaient s’appuyer sur deux alliés de poids : à l’intérieur, ils ont réussi à constituer un vaste et solide réseaux d’hommes d’affaires qui pèsent plusieurs milliards de dollars après avoir racheté des centaines d’entreprises publiques dans le cadre de la privatisation sauvage décidée en 2008 sous le gouvernement Ouyahia-Temmar et après avoir bénéficié des marchés publics et de crédits bancaires de complaisance durant la dernière décennie. A l’extérieur, ils bénéficient depuis l’hospitalisation du président Bouteflika au Val de Grâce du parapluie des puissances étrangères, et notamment de la France, soucieuses d’assurer leurs intérêts aussi bien économiques que stratégiques en Algérie et dans la région. Face à eux, Abdelmadjid Tebboune a cru mettre à profit la légitimité que lui conférait la confiance du président de la république qui l’avait nommé et qui l’aurait instruit des mesures visant à séparer argent et politique. Mais c’était sans compter sur la versatilité d’un président malade et sous pression. »
Concernant les conséquences probables d’un changement aussi brutal, le même analyste indique : « Si le pouvoir a eu recours à une solution aussi brutale, c’est que l’alliance de Saïd Bouteflika et de la nouvelle oligarchie algérienne s’est sentie vraiment menacée dans ses intérêts aussi bien dans l’immédiat que dans la perspective de l’élection présidentielle de 2019 qui risquait d’être bousculée par la popularité croissante de Abdelmadjid Tebboune sur les réseaux sociaux. Cette alliance avait suffisamment de ressources pour mettre le feu à la maison. Les autres pôles de pouvoir qui auraient pu s’opposer à cette alliance le savent pertinemment. C’est une des raisons qui pourrait expliquer qu’ils aient accepté de sacrifier Abdelmadjid Tebboune. Cependant, il n’est pas dit que le souci de stabilité qui a prévalu dans les cercles dirigeants algériens puisse être réalisé à terme. La destitution brutale d’un premier ministre qui commençait vraiment à rassembler la population algérienne autour de ses décisions courageuses risque d’entretenir un sentiment de frustration et de déception qui n’augure rien de bon à moyen terme. A cet égard, la nomination d’un personnage comme Ahmed Ouyahia dont l’impopularité est un secret de polichinelle sonne comme une provocation inutile et lourde d’incertitudes. »