Quelle coopération militaire entre l’Algérie et la France ? Par Abdelkader Boussouf

La visite de travail du chef d’état-major de l’ANP, le général d’armée Saïd Chanegriha, en France ne manque pas de susciter la curiosité et les interrogations des observateurs, ce qui est tout à fait naturel eu égard au caractère particulier et sensible des relations entre les deux pays et spécialement entre les deux armées. La visite de travail du chef de l’armée algérienne en France a été couronnée par la signature d’une « feuille de route » en vue de « renforcer la coopération militaire » ente les deux armées. Rien n’a filtré pour le moment dans la presse sur les détails de cette « feuille de route ». Un communiqué ne tardera pas à être rendu public mais on peut d’ores et déjà prévoir qu’il sera très général et laconique et que les questions traitées par les deux délégations resteront marquées par le sceau du secret jusqu’à nouvel ordre.

Les supputations des observateurs vont se multiplier à cette occasion et il convient de rétablir quelques petites vérités à l’adresse de tous ceux qui seraient tentés de faire dans la désinformation et la diversion. Commençons d’abord par les contre-vérités assénées par les soi-disant « experts » marocains qui multiplient les déclarations mensongères dans les médias makhzéniens et sur les réseaux sociaux; Pour certains, cette visite prouve que les chefs de l’armée algérienne sont aux ordres de la France (sic). Les mêmes prétendent que le Maroc fait preuve d’un grand sens de la « souveraineté nationale » quand il signe des accords de défense avec les Etats-Unis ou avec l’Etat d’Israël et quand il accepte d’établir des bases étrangères sur son sol ! Pour d’autres, cette visite aurait pour but de torpiller la prochaine visite du président Macron au Maroc comme si un pays comme la France pouvait considérer autre chose que ses propres intérêts stratégiques dans l’élaboration de sa politique étrangère.

Plus sérieusement, des observateurs internationaux tentent d’établir un lien entre la visite du chef de l’armée algérienne en France et les pressions exercées par les Etats-Unis sur l’Algérie en vue de la pousser à tourner le dos à la coopération militaire avec la Russie sur fond de la guerre actuelle en Ukraine. Il est vrai que ces pressions existent et que l’Algérie ne pourrait y être tout à fait indifférente même si les dirigeants algériens ne cessent de rappeler que cette coopération militaire avec la Russie n’est dirigée contre aucune partie en particulier et que l’Algérie a le droit d’établir des relations de coopération avec des partenaires différents sur la scène internationale.

Dans la réalité, la guerre en Ukraine et les pressions américaines n’ont fait qu’accélérer une tendance qui a déjà commencé à se concrétiser depuis plus de dix ans, à savoir la diversification des sources d’équipements militaires. Cette diversification s’inscrit dans le cadre de l’approfondissement des principes d’indépendance nationale et de non-alignement sur lesquels se fonde la diplomatie algérienne depuis toujours.

Citons quelques jalons dans le cadre de ce processus de diversification ; En ce qui concerne les Forces navales, la diversification a commencé très tôt puisqu’à côté des sous-marins, des frégates et des corvettes ex-soviétiques, la marine algérienne s’était dirigée dès les années 80 vers la Grande-Bretagne et la Chine pour la fabrication de ses vedettes lance-missiles. Dans les années 2000, cette tendance va prendre une nouvelle tournure avec l’acquisition du BDSL italien Kalaa Beni Abbes et les frégates allemandes Meko 200 A sans oublier les corvettes chinoises C28A et les missiles de défense côtière CM-302. Les Forces terrestres qui continuent d’opérer avec les chars russes T72 et T90 se sont également tournées vers l’Allemagne pour leurs véhicules de transport blindés Fuch et vers la chine pour leurs canons autotractés PLZ-45. En ce qui concerne les Forces aériennes, si elles continuent de compter sur les chasseurs et bombardiers russes (Mig 29, Su 30, Su 24 et bientôt les Su 34 et les Su 57) et les hélicoptères russes Mi 28 et Mi 171, elles se sont tournées par ailleurs vers la firme italienne Leonardo pour la fabrication des hélicoptères AW 109 et 139 à Sétif. Quant aux drones qui constituent l’avenir des Forces aériennes, l’armée algérienne s’est tournée vers la Chine et plus récemment vers la Turquie pour le développement de ce segment stratégique.

L’armée algérienne est appelée dans les prochaines années à aller plus loin dans le processus de diversification de ses sources d’approvisionnement militaire. Dans ce cadre, les responsables de l’ANP semblent accorder une importance plus grande que par le passé au transfert de technologie. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la récente ouverture vers la France. Certes, des facteurs géopolitiques et diplomatiques militent pour une coopération plus étroite entre les armées algérienne et française. La France reste le pays européen le moins dépendant des Etats-Unis.

Certains observateurs ont commencé à tirer des plans sur la comète en parlant par exemple de l’éventualité de l’acquisition par l’Algérie du chasseur-bombardier français du groupe Dassault, le fameux Rafale. Ce dernier reste un excellent avion de 4eme génération et il est sans doute supérieur au Su 30 MKA dans les conditions actuelles mais à l’approche de la production en série de l’avion russe de 5eme génération Su 57 et suite à la modernisation en cours du Su 30 MKA, l’acquisition du Rafale peut-elle encore se justifier ? N’est-il pas plus judicieux de choisir la piste de l’avion chinois de 5eme génération FC 31 que les Chinois ont taillé pour l’exportation et qui pourrait le cas échéant subir des modifications en fonction des demandes de la partie algérienne ?

Quoi qu’il en soit, Il faut savoir que la visite du chef de l’armée algérienne en France n’avait pas pour objet direct des contrats d’armements. Ces derniers ne se discutent pas avec le chef d’état-major ni avec le ministre des armées françaises mais avec les technocrates de la Direction générale de l’armement (DGA) et avec les directeurs des grands groupes d’armements français. D’ailleurs, les directeur centraux de l’approvisionnement et des Fabrications militaires du MDN n’étaient même pas présents dans la délégation algérienne.

Pour le moment, les responsables militaires des deux pays discutent des multiples aspects de la coopération militaire et sécuritaire qu’il convient de développer entre les deux pays. Dans ce cadre, l’échange d’informations sécuritaires sensibles et des expériences militaires est au centre des préoccupations des deux parties.

Le volet formation sera privilégié à cette étape et nous devrions assister à l’augmentation du nombre d’officiers algériens qui seront accueillis dans les écoles militaires françaises. La question des équipements viendra logiquement à la suite de l’approfondissement de la coopération scientifique et technique entre les deux armées. Une chose est sûre. Si l’armée algérienne a tout intérêt à s’ouvrir aux technologies européennes, et française en particulier, cela ne signifie pas qu’elle abandonnera son partenariat militaire avec la Russie et la Chine. Au contraire, en s’ouvrant aux concurrents occidentaux, les négociateurs algériens auront plus de chance d’arracher le meilleur à leurs partenaires russes et chinois, notamment en termes de transfert de technologies sensibles.

Abdelkader Boussouf Le 25 janvier 2023

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