Khaled Nezzar échappe de justesse à la Justice suisse, le pouvoir algérien peut enfin souffler

A picture taken on January 9, 2016, shows former Algerian defence minister Khaled Nezzar speaking during a press conference in Algiers. (Photo by Ryad KRAMDI / AFP)

30.12.2023. L’ancien ministre de la défense nationale, le général Khaled Nezzar, est décédé ce vendredi 29 décembre à Alger. Une des « boites noires » du régime algérien durant la décennie sanglante a disparu et avec lui une partie des secrets d’Etat attachés à cette période mouvementée de l’histoire de l’Algérie. Mais en disparaissant, il échappe à la Justice suisse qui s’apprêtait à le juger en juin 2024 pour des présumés « crimes de guerre » commis durant les années 90.

Après douze années d’une longue procédure, la justice suisse a annoncé, le 28 août dernier, le renvoi devant le tribunal pénal fédéral de Khaled Nezzar, ancien ministre de la défense et ex-homme fort du régime algérien au début des années 1990.. Les chefs d’inculpation sont très lourds : « crimes de guerre sous forme de torture, de traitements inhumains, de détentions et condamnations arbitraires ainsi que crimes contre l’humanité sous forme d’assassinats qui se seraient déroulés de janvier 1992 à janvier 1994 ». Pour décider de poursuivre Khaled Nezzar, la Justice suisse a eu recours au principe de compétence universelle, qui lui permet la poursuite de certaines infractions graves au droit international, notamment les violations des conventions de Genève. Le ministère public de la Confédération (MPC) a ainsi considéré que M. Nezzar, « en sa qualité de ministre de la défense et membre du Haut Comité d’Etat, a placé des personnes de confiance à des positions-clés et créé sciemment et délibérément des structures visant à exterminer l’opposition islamiste ». « S’en sont suivis des crimes de guerre et une persécution généralisée et systématique des civils accusés de sympathiser avec les opposants ».

La décision de renvoi de Khaled Nezzar devant le Tribunal pénal fédéral suisse a constitué un choc pour le pouvoir algérien comme l’atteste La réaction virulente du ministre des affaires étrangères : « Cette affaire a atteint les limites de l’inadmissible et de l’intolérable. Le gouvernement algérien est déterminé à en tirer toutes les conséquences, y compris celles qui sont loin d’être souhaitables pour l’avenir des relations algéro-suisses », s’est exclamé Ahmed Attaf le 31 août, après un entretien téléphonique avec son homologue helvétique, Ignazio Cassis. L’Algérie ne pouvait laisser passer ainsi sans réagir le fait qu’un ancien ministre de la défense soit traîné devant un tribunal pénal étranger. Mais de nombreux observateurs font valoir que si l’Etat algérien avait eu l’intelligence et le courage de donner suite à l’intérieur du pays aux plaintes des citoyens algériens dans le cadre d’un jugement transparent et contradictoire, il ne ‘en serait pas là.

Quel que soit le bien-fondé des lourdes accusations adressées à l’ancien ministre de la défense, une personne qui n’a pas été condamnée par un tribunal indépendant est toujours présumée innocente. Le fait est que ce jugement n’aura jamais lieu puisque Khaled Nezzar vient de décéder, ce qui implique l’extinction de l’action publique contre lui. Le pouvoir algérien peut souffler et se sentir soulagé car une éventuelle condamnation de Khaled Nezzar par le tribunal pénal fédéral suisse aurait eu des conséquences politiques et diplomatiques graves. Mais si Nezzar a échappé de justesse à la Justice suisse, la question politique qui se cache derrière cette affaire n’a pas disparu. La Vérité et le Justice sur ce qui s’est passé en Algérie en octobre 1988 et durant la décennie 90 font partie des conditions susceptibles de faciliter la réconciliation nécessaire et souhaitable entre l’Etat et la société en Algérie.

Mohamed Merabet