Les Algériens redoutent une contre-révolution
La nomination de Abdelkader Bensalah à la tête de l’Etat pour une durée de 90 jours, même si elle est tout à fait constitutionnelle, a été reçue comme une provocation par les Algériens qui n’ont pas hésité à le faire savoir en continuant à manifester leur refus de cette solution. Les Algériens ne font pas confiance aux personnalités compromises avec le régime Bouteflika pour organiser une transition honnête. Dans son premier message à la nation, le nouveau président de l’Etat a promis d’organiser des élections présidentielles dans la plus grande transparence sous la supervision d’une instance indépendante. Mais les manifestants ne voient pas comment l’organisation des élections peut être neutre et honnête avec un gouvernement formé par des personnalités qui ont toujours servi le régime Bouteflika et sur lesquelles continue de peser le soupçon suivant lequel elles continuent de servir secrètement l’ « Etat profond ».
Malgré le discours qui se veut rassurant du chef de l’armée algérienne, les Algériens ne cachent plus leur crainte de voir les représentants de l’ « Etat profond » reprendre leurs forces et l’initiative politique après un premier moment d’incertitude provoqué par le départ du président Bouteflika. Plusieurs indices sont venus confirmer ces craintes populaires. Les responsables des partis de l’ancienne coalition présidentielle (FLN, RND, TAJ) et le secrétaire général de l’UGTA donnent l’impression de relever la tête après une brève éclipse. Ces personnalités sont connues pour être au service de l’ « Etat profond » et pour leurs liens avec l’appareil de l’ex-DRS dissous. L’attitude de l’ancien premier ministre Ahmed Ouyahia, qui n’a pas hésité à traiter le mouvement populaire de « rih fi chbek » (vent dans le filet), constitue un véritable baromètre politique aux yeux des militants qui estiment que son retour sur la scène politique et médiatique est un mauvais signe. Mais c’est surtout le comportement brutal des forces de l’ordre qui ont utilisé le gaz lacrymogène et les jets d’eau pour disperser les manifestants dans la capitale qui inquiète les Algériens qui craignent des dérapages dangereux.
D’autres indices vont dans le même sens et commencent à inquiéter les militants du mouvement populaire. Le reportage télévisé de l’arrivée du nouveau président de l’Etat, Abdelkader Bensalah, au palais présidentiel d’El Mouradia, montre clairement que le staff du président Bouteflika est toujours en place. Habba El Okbi, le secrétaire général de la présidence de la république, sans la complicité duquel les messages attribués au président Bouteflika n’auraient jamais été rendus publics, a accueilli Abdelkader Bensalah à l’entrée d’El Mouradia et s’apprête apparemment à continuer à exercer sa fonction stratégique dans cette période transitoire cruciale. Mokhtar Reguig, le chef du protocole, qui était la véritable boite noire de la présidence, était également présent pour accueillir Abdelkader Bensalah ainsi que Zerhouni Benamar, le rédacteur des messages du président Bouteflika. Ces indices font dire aux observateurs que le président Bouteflika est parti mais ses hommes sont toujours là. La seule personne absente ou que le reportage ne montre pas, c’est Saïd Bouteflika, ce qui suscite des interrogations. A-t-il été mis sous résidence surveillée comme l’indique la rumeur ou a-t-il été tout simplement mis à l’écart ? Mais quel que soit le sort réservé aux frères de l’ancien président et à quelques hommes d’affaires proches, la contre-révolution que redoute le peuple peut toujours s’appuyer sur les réseaux de l’ex-DRS dissous et de l’ « Etat profond » et leurs ramifications politiques, médiatiques et affairistes.
Mohamed Merabet