Décryptage : Mohamed Tahar Bensaada revient sur les enjeux de la présidentielle

05.09.2024. Les Algériens sont appelés aux urnes ce 7 septembre pour élire un nouveau président de la république. Si le pouvoir algérien a décidé d’anticiper de plusieurs mois la tenue de cette élection présidentielle, c’est qu’il y avait des raisons de force majeure qui se rapportent à la stabilité et à la sécurité du pays. Quels sont donc les enjeux de cette élection à première vue sans suspense ? L’analyste politique algérien, Mohamed Tahar Bensaada, qui dirige l’Institut Frantz Fanon à Bruxelles, revient sur les enjeux de cette élection.

Le pouvoir algérien semble très attaché à la bonne tenue de l’organisation de cette élection présidentielle. Pourtant elle apparaît à première vue comme une élection jouée d’avance. Comment expliquer ce paradoxe ?

C’est vrai. Cette élection semble à première vue comme une élection sans suspense dans la mesure où les observateurs devinent d’avance le vainqueur, en l’occurrence ici le président sortant qui brigue un second mandat et qui est apparemment assuré du soutien des grandes machines électorales du FLN et du RND auxquelles sont venues s’ajouter les machines du mouvement El Bina (islamiste) et du Front El Mostakbal (nationaliste). Le soutien ouvert du FLN et du RND ne laisse aucun doute au fait que le candidat Tebboune est bien le candidat numéro un de l’Etat profond algérien avec es bras administratifs et médiatiques. Cependant, il serait malhonnête de croire que le président Tebboune part favori uniquement grâce au soutien de l’Administration et de ses prolongements politiques. Le candidat Tebboune peut également compter sur le bilan du premier mandat qui est globalement positif surtout sur le plan économique et social et ce, malgré l’impact négatif de la pandémie de covid durant les deux premières années du mandat, sans parler du sabotage bureaucratique auxquel a été confronté dès le début le processus de réformes initié par le président Tebboune.

Si l’élection du 7 septembre semble jouée d’avance, que peut-on retenir de nouveau par rapport au passé et plus précisément par rapport à la dernière présidentielle ?

L’élection du 7 septembre se présente avec une nouveauté de taille : les trois candidats retenus représentent objectivement les trois courants politiques représentatifs de la société algérienne. Ce n’était pas le cas lors des élections précédentes et notamment celle de décembre 2019. Cette nouvelle donne nous permet d’espérer que nous assistons peut-être à un début d’ouverture politique réelle qui augure d’une reconfiguration de la scène politique autour des principales forces sociopolitiques existantes : le courant nationaliste autour du FLN, du RND et du front El Mostakbal, le courant islamiste autour du MSP et d’Ennahda et un courant social-démocrate en formation autour du FFS.

Bien entendu, la reconfiguration politique en cours n’est pas parfaite. Elle est encore entachée de tares bureaucratiques et demande à être refondée et corrigée pour épouser les contours d’une vie politique saine libérée des interventions malvenues de l’Administration et qui soit axée sur les programmes et non sur les discours idéologiques obsolètes et les slogans vides. Le courant nationaliste représenté par le FLN et le RND gagnerait à retrouver sa vocation politique en dehors des injonctions à caractère administratif, le courant islamiste devrait aussi approfondir sa mue politique dans un cadre résolument républicain, loin de toute influence étrangère. De son côté, le FFS est appelé à approfondir sa transformation en parti social-démocrate et sa sortie progressive du ghetto kabyle auquel il a été astreint pour des raisons historiques et qui l’a empêché jusqu’ici de prétendre au statut sociopolitique qu’il mérite.

Mis à part la présence de trois candidats appartenant à trois courants politiques représentatifs, que peut-on retenir de cette campagne présidentielle ?

Je pense que le plus important dans la reconfiguration politique annoncée par l’élection du 7 septembre est que les trois principaux courants semblent se diriger vers une convergence sur les questions qui font consensus au sein de l’opinion algérienne tout en gardant chacun son identité politique propre. En effet, une des caractéristiques majeures de la campagne présidentielle aura été que les trois candidats n’ont pas cessé d’exprimer leur attachement commun à l’indépendance et à la souveraineté nationale et ce, dans une conjoncture régionale et internationale marquée par des menaces réelles qui pèsent dangereusement sur la sécurité nationale. Par ailleurs, les trois candidats ont réitéré leur attachement au caractère social de l’Etat algérien même si chacun a avancé des propositions spécifiques en vue de corriger les imperfections en la matière.

C’est cela qui nous fait croire que, quel que soit le choix final des électeurs algériens, l’Algérie est sur le bon chemin. Cela ne veut pas dire que le processus est à l’abri de tout retour en arrière. Il reste beaucoup à faire et à corriger, pour espérer une vie politique saine débarrassée des pathologies du passé à commencer par l’interventionnisme administratif qui a débouché sur une grave dépolitisation de la jeunesse algérienne. A un moment où même le pouvoir semble avoir compris l’importance de compter sur un front intérieur solide face aux menaces externes, cette dépolitisation devrait alerter tout le monde et constituer un des défis politiques majeurs à relever à court terme. Il est temps que tout le monde comprenne que le rôle des services de sécurité est certes vital dans la préservation de la sécurité nationale mais il ne saurait se substituer au travail de mobilisation sociale et politique porté par des forces politiques libérées de toute tutelle administrative.