Quelle signification donner à la visite du ministre américain de la défense à Alger ?

Le secrétaire américain à la Défense, M. Mark Thomas Esper, a fait état jeudi à Alger de la volonté de son pays de renforcer sa coopération avec l’Algérie dans le domaine militaire et de la lutte contre le terrorisme. « Nous avons évoqué les voies et moyens de renforcer la coopération bilatérale, notamment dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et la coopération entre les armées des deux pays« , a déclaré M. Esper à l’issue de l’audience que lui a accordée le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune.  « Comme je l’ai dit au Président, tous les Américains ont un faible pour les peuples qui se sont battus pour leur propre liberté et se sont sacrifiés pour leurs libertés. Je veux dire au peuple algérien, combien nous respectons sa souveraineté, nous apprécions sa coopération, et admirons son histoire » a déclaré le ministre américain à l’issue de sa visite au sanctuaire des Martyrs en compagnie du chef du département Préparation et emploi au sein de l’état-major de l’ANP, le général-major Mohamed Kaidi.  L’audience a été aussi l’occasion d’examiner la situation dans le Sahel, notamment la crise en Libye. Les deux parties ont convenu, à ce propos, de poursuivre leurs consultations et leur coordination pour consolider la paix et la sécurité dans la région dans le cadre du respect de l’unité et la souveraineté des Etats.

La visite du ministre américain de la défense à Alger n’a pas manqué de susciter les interrogations des observateurs surtout qu’il s’agit de la première visite de ce genre depuis quinze ans. Quelle signification donner à cette visite ? En insistant sur le respect de la souveraineté des Etats, le ministre américain semble avoir pris acte de la volonté de l’Algérie de rester à équidistance des puissances internationales qui s’affrontent dans la région pour leurs intérêts stratégiques respectifs. Mais en insistant sur le souhait de développer la coopération militaire et sécuritaire entre les deux parties, les Etats-Unis ne désespèrent pas visiblement de pousser l’armée algérienne à jouer un plus grand rôle dans les opérations de maintien de la paix dans la région. Cette éventualité est revenue en force ces dernières semaines dans la mesure où la révision de la Constitution va désormais permettre l’intervention de l’armée algérienne en dehors de ses frontières. Reste maintenant à savoir ce que les deux parties entendent par le « renforcement de leur coopération militaire ». Sur le plan stratégique, même s’ils n’arrivent pas à obtenir un engagement direct de l’Algérie à leurs côtés, les USA se contenteront de sa « neutralité » actuelle dans la mesure où elle refuse tout autant de servir les desseins de la Russie et de la Chine dans la région. Sur le plan des équipements, les observateurs ne s’attendent pas à un changement majeur. L’Algérie continuera d’acheter chez les Américains du matériel non létal (avions de transport, avions de reconnaissance, équipements électroniques pour les Forces spéciales) mais pour le reste, elle continuera à s’équiper chez ses fournisseurs traditionnels (Russie, Chine) ou chez ses nouveaux fournisseurs européens (Allemagne, Italie).

C’est dire que derrière les déclarations diplomatiques échangées de part et d’autre, les enjeux stratégiques restent inchangés. Les Américains qui sont déjà présents dans la région d’Afrique du nord avec des bases au Maroc, en Tunisie et au Niger, vont sans doute renforcer cette présence et doter l’armée marocaine d’armements modernes non négligeables comme en témoigne les contrats pour la livraison de 25 F16 V et 24 hélicoptères Apache. Le commandement de l’armée algérienne ne pourra pas se contenter des belles déclarations américaines et sera obligé de renforcer son potentiel défensif pour être à la hauteur des menaces posées par la nouvelle conjoncture géostratégique régionale. Ce n’est pas un hasard si 48 heures avant la visite du ministre américain de la défense, le chef d’état-major de l’armée algérienne a reçu le directeur du Service Fédéral pour la Coopération militaire et technique de la Fédération de Russie, Dimitrii Chougaev. Les observateurs s’attendent à de nouveaux contrats d’armements importants entre l’Algérie et la Russie dans les prochains mois qui pourraient concerner l’ensemble des Forces.

Mohamed Merabet