Le plan de Trump pour le Sahara occidental : une menace pour la paix dans la région Par Mohamed Tahar Bensaada
29.10.2025. Le Conseil de sécurité s’apprête à délibérer sur un projet de résolution présenté par la délégation américaine qui cherche à légaliser l’occupation marocaine du Sahara occidental en validant le plan marocain d’autonomie. Dans une analyse consacrée à ce sujet brûlant, l’Institut Frantz Fanon, un centre de recherche et d’information pour la paix et le développement durable situé à Bruxelles, a attiré l’attention sur le danger que revêt l’abandon du principe du droit à l’autodétermination pour la paix et la stabilité de la région d’Afrique du nord. L’auteur de l’analyse, Mohamed Tahar Bensaada, conclut son analyse en tirant la sonnette d’alarme : » il n’est pas exclu que grisé par ce qu’il pourrait interpréter comme une légalisation internationale de sa « souveraineté » sur le Sahara occidental, le Maroc se lance dans une guerre en vue de « récupérer » les 20% de la superficie du territoire qui reste sous contrôle du Front Polisario, au risque de transformer un conflit qui est resté jusqu’ici un conflit de basse intensité en un conflit susceptible de déraper vers une guerre régionale de plus grande envergure ».
La tentative américaine d’enterrer l’option du référendum au Sahara occidental
Depuis plusieurs jours, la délégation américaine ne cesse de manœuvrer dans les coulisses du Conseil de sécurité pour imposer un projet de résolution validant la thèse marocaine en faveur d’une large autonomie au Sahara occidental. Pire, le texte américain n’hésite pas à présenter l’option de l’autonomie comme « seule base de négociation » entre les parties concernées en vue de mettre fin au conflit du Sahara occidental. En tentant de contourner l’idée du référendum qui demeure au centre des efforts des Nations Unies en vue de régler la question, les Etats-Unis, membre permanent du Conseil de sécurité, tourne le dos au principe de l’autodétermination tel qu’il est reconnu par le droit international, principe qui vient pourtant d’être réaffirmé solennellement par la 4e Commission des Nations Unies qui a réitéré dans sa dernière résolution la position juridique attestant que la question du Sahara occidental demeure une question de décolonisation.
Comment expliquer cette tentative américaine de passer en force au mépris du droit international ? Le facteur Trump est y pour quelque chose. Dans sa course au prix Nobel de la paix, Donald Trump n’est pas à une fanfaronnade près. IL prétend devant qui veut l’entendre avoir mise fin à huit conflits en neuf mois non sans prendre des libertés avec une réalité géopolitique qui refuse décidément d’obéir à ses fantasmes. Mais au-delà du facteur Trump, le soutien américain au plan marocain d’autonomie au Sahara occidental s’inscrit dans un dessein géopolitique plus vaste. D’une part, il s’agit de consolider la position géopolitique du Maroc, principal allié hors-Otan dans la région, que les stratèges américains considèrent comme la clé de la « pax americana » dans la région d’Afrique du nord et du Sahel. D’autre part, en mettant la pression sur l’Algérie, Washington espère l’intégrer progressivement à sa stratégie sécuritaire régionale et l’arracher définitivement à l’influence russe, en exploitant notamment les frictions apparues récemment entre Moscou et Alger dans la gestion des crises du Sahel.
Il n’en demeure pas moins que les Etats-Unis jouent gros sur ce dossier et rien ne permet de penser qu’ils gagneront sans difficultés leur pari. Les réactions des différents acteurs internationaux et régionaux concernés ne laissent guère de doute à ce sujet.
Le Front Polisario rejette toute solution qui ignore le droit à l’autodétermination
Le Front Polisario, seul représentant légitime du peuple sahraoui dans l’arène internationale, ne pouvait accepter cette tentative de passer outre la légalité internationale qui revient à enterrer le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. Dans une lettre adressée au secrétaire général de l’Onu, le président de la RASD, Ibrahim Ghali, a présenté une proposition élargie en vue de sortir de l’impasse dans laquelle se trouve ce conflit qui dure depuis 50 ans. « Cette proposition vise à permettre au peuple sahraoui d’exercer son droit inaliénable à l’autodétermination par le biais d’un référendum supervisé par les Nations Unies et l’Union africaine (UA), et à exprimer la volonté de l’Etat sahraoui de négocier avec le Royaume du Maroc en vue de l’établissement de relations stratégiques et mutuellement bénéfiques entre les deux pays », ajoute le communiqué.
La « proposition élargie » du Front Polisario est d’autant plus méritoire dans ce contexte qu’elle semble ouverte à toute négociation sans préalable afin de sortir de l’impasse dans laquelle l’entêtement du Maroc a conduit le processus de décolonisation pourtant réaffirmé à maintes reprises par les Nations Unies. Les défenseurs du plan de « paix » de Trump arguent du fait que la MINURSO n’a pas réussi, tout long de ces 30 dernières années, à s’acquitter de sa mission – l’organisation d’un référendum d’autodétermination – et qu’il fallait donc tenter de débloquer la situation. Ce faisant, les partisans de cette position feignent d’ignorer que c’est le Maroc qui a constamment empêché l’organisation d’un tel référendum sous divers prétextes fallacieux et ce, de l’avis de tous les émissaires du secrétaire général de l’ONU chargés de mettre en oeuvre les résolutions onusiennes.
L’ Algérie ne se laissera pas convaincre facilement
Principal soutien du Front Polisario dans la région, l’Algérie voisine, qui abrite quelques 175 000 réfugiés sahraouis sur son territoire (Tindouf), continue d’être un acteur directement concerné par le conflit qui se déroule à ses frontières. Pour des raisons à la fois doctrinales ( le soutien au principe du droit à l’autodétermination des peuples fait partie de l’ADN de la diplomatie algérienne) et géopolitiques, l’Algérie n’acceptera pas sans résistance ni condition le fait accompli de l’occupation d’un « territoire non autonome » à ses frontières par une puissance occupante qui ne cache pas, par ailleurs, ses appétits annexionnistes sur une partie du territoire algérien (Les trois wilayas de Bechar, Tindouf et Adrar font partie de la carte du « grand Maroc ») .
Tant que le texte de la délégation américaine est resté secret, l’Algérie n’a pas réagi officiellement. Mais des personnalités publiques ainsi que des médias algériens se sont exprimés sur le sujet et ont, sans surprise, rejeté catégoriquement la tentative américaine (soutenue par les autres puissances occidentales) de contourner le droit international. Abdelaziz Rahabi, ancien ambassadeur et ancien ministre algérien, soutient que « les USA ont mis tout leur poids pour organiser une vaste opération dont l’objectif est de présenter le problème sahraoui comme un différend algéro-marocain, légitimer l’occupation du Sahara Occidental, aider à stabiliser leur allié marocain et enfin proposer au Polisario une large autonomie ou même une partie de son territoire historique sans consultation du peuple. »
Par ailleurs, le ministre algérien des affaires étrangères, Ahmed Attaf, s’est entretenu avec ses homologues russe et chinois. La dépêche officielle qui a rendu compte de l’entretien téléphonique entre Ahmed Attaf et Sergueî Lavrov a explicitement cité la question du Sahara occidental parmi les sujets abordés. Idem en ce qui concerne l’entretien téléphonique entre Ahmed Attaf et son homologue chinois, Wang Yi, La dépêche rapporte que « les deux ministres ont, par ailleurs, évoqué « les principales questions inscrites, ce mois, à l’ordre du jour du Conseil de sécurité, à leur tête la question de décolonisation au Sahara occidental. »
La Russie en position d’arbitre
Parmi les membres permanents du Conseil de sécurité, Washington est pratiquement sûre du vote du Royaume-Uni et de la France en faveur de son projet de résolution. Il reste la position des deux autres membres permanents, la Russie et la Chine. Si l’abstention de la Chine ne laisse planer aucun doute étant donné la position historique de Pékin qui a toujours recherché l’équilibre dans ses rapports avec ses partenaires maghrébins, la position que prendra la Russie lors du passage au vote du projet de résolution suscite les commentaires les plus contradictoires.
Interrogé à ce sujet, le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov a souligné : « Il existe des résolutions claires du Conseil de sécurité sur la manière de résoudre la question du Sahara occidental, par le biais du droit à l’autodétermination. Ce principe a toujours fait l’objet d’un consensus au sein du Conseil de sécurité… » non sans ajouter que la Russie considère que «toute solution acceptable pour toutes les parties est une solution légitime». S’agissant de la position du président Donald Trump, à la fin de son premier mandat, quand il a reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en contrepartie de la normalisation des relations avec l’Etat d’Israël, le chef de la diplomatie russe a affirmé que la Russie «ne considérera pas l’affaire comme close tant qu’un accord entre toutes les parties concernées, basé sur un juste équilibre des intérêts n’a été conclu ». Tout en affirmant que les résolutions du Conseil de sécurité restent la seule référence valable à l’heure actuelle, Lavrov a ajouté, cependant, que : «si une nouvelle résolution basée sur d’autres principes est élaborée pour la solution (du contentieux), nous serons prêts à en débattre, à condition qu’elle soit acceptable pour toutes les parties prenantes ».
Comme on peut le constater, la position diplomatique de la Russie peut donner lieu à des lectures et des interprétations diverses. D’une part, on a la lecture qui insiste sur le refus de la Russie de toute solution imposée à l’une ou l’autre partie sans passer par le cadre onusien. Par conséquent, les auteurs de cette première lecture s’attendent à ce que la Russie oppose son véto au projet de résolution américain s’il n’est pas entre-temps amendé dans un sens plus conforme au droit international ou du moins à ce qu’elle s’abstienne lors du vote. L’autre lecture à laquelle se prêtent les déclarations de Lavrov est plutôt pessimiste. Selon cette lecture, la Russie, pour laquelle la question du Sahara occidental reste une question marginale au regard de ses intérêts stratégiques, ne fera rien qui mécontentera Trump sur ce dossier dans la mesure où elle compte sur sa souplesse diplomatique pour la résolution du conflit ukrainien et pour trouver une solution équilibrée aux différends avec les puissances occidentales et l’Otan, deux dossiers connexes qui revêtent une importance autrement plus grande aux yeux des dirigeants russes.
Les Etats-Unis révisent leur copie à la demande de la Russie
Le Conseil de sécurité des Nations Unies a tenu vendredi 24 octobre une deuxième séance extraordinaire à huis clos sur le renouvellement du mandat de la Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara Occidental (MINURSO) durant laquelle la délégation américaine a distribué un nouveau projet de résolution, comportant des modifications sur les points de désaccord. Le texte actuellement débattu recommande de prolonger le mandat de la MINURSO jusqu’au 31 janvier ou jusqu’au 30 avril 2026. Il continue de mentionner le plan d’autonomie marocain, mais celui-ci n’est plus considéré comme « la seule base » d’un règlement du conflit, reconnaissant qu’il existe d’autres propositions sans les citer explicitement. Le texte appelle un cessez-le-feu immédiat entre le Maroc et le Front Polisario, le plein soutien aux agences humanitaires, ainsi qu’un appel inédit à l’enregistrement des réfugiés sahraouis et à la nécessité d’engager des négociations directes sans conditions préalables.
Si la nouvelle version du texte américain rencontre l’assentiment de la Russie, le projet de résolution sera voté sans problème. Reste à savoir en quoi cette nouvelle résolution du Conseil de sécurité pourra faciliter un règlement pacifique du conflit dans la mesure où le sursis de trois à six mois accordé à la MINURSO cache mal un enterrement pur et simple de l’option du référendum et l’entrée dans l’inconnu d’un processus de négociation entre des parties dont les positions restent très éloignées mais qui auront été obligées de régler leurs différends en dehors de tout cadre légal. En effet, Washington s’est proposé pour accueillir ces négociations alors qu’elle apparaît d’ores et déjà comme juge et partie. Assisterons-nous à l’émergence d’un cadre de négociations multilatéral incluant toutes les parties concernées sous la supervision des Etats-Unis et de la Russie autour de plusieurs options, dont l’autonomie proposée par le Maroc ?
Conclusion
L’abandon de toute référence au référendum d’autodétermination n’est pas sans risques graves pour la paix dans la région. En l’absence de pressions internationales sérieuses sur le Maroc, ce dernier risque de s’enfoncer dans sa logique du fait accompli tant la question du Sahara occidental est devenue une question de vie ou de mort pour une monarchie confrontée par ailleurs à une grave crise de succession sur fond d’affrontements entre factions rivales autour des dividendes de l’économie de la drogue et des autres monopoles commerciaux.
Dans ces conditions, il n’est pas exclu que grisé par ce qu’il pourrait interpréter comme une légalisation internationale de sa « souveraineté » sur le Sahara occidental, le Maroc se lance dans une guerre en vue de « récupérer » les 20% de la superficie du territoire qui reste sous contrôle du Front Polisario, au risque de transformer un conflit qui est resté jusqu’ici un conflit de basse intensité en un conflit susceptible de déraper vers une guerre régionale de plus grande envergure. La « paix » de Trump risque d’accoucher de son contraire : une guerre régionale aux risques incommensurables sur la paix et la stabilité de la région.
Pour lire l’article dans son intégralité :
http://institutfrantzfanon.org/le-plan-de-trump-pour-le-sahara-occidental-une-chance-pour-la-paix-ou-un-nouveau-facteur-descalade-par-mohamed-tahar-bensaada/