Les points-clés de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien
L’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, conclu mardi 14 juillet, est un document de près d’une centaine de pages, composé d’un texte principal et de cinq annexes. En voici les grandes lignes, selon le résumé présenté, mardi matin, par la délégation française.
Limiter l’enrichissement d’uranium
L’objectif principal du « P5 + 1 » (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne) est de mettre en place de sévères restrictions pour garantir que le breakout, le temps nécessaire pour produire assez d’uranium enrichi permettant de fabriquer une arme atomique, soit au moins un an pendant une durée de dix ans. Cette mesure est destinée à permettre aux Occidentaux de réagir au cas où l’Iran déciderait de se lancer dans une course à la bombe.
Pour atteindre cet objectif, l’accord de Vienne plafonne le nombre de centrifugeuses enrichissant l’uranium, qui doit être porté à 90 % pour une utilisation militaire.
L’Iran ne pourra enrichir l’uranium qu’à 3,67 % pendant quinze ans et sur le seul site de Natanz. Pendant dix ans, le nombre de centrifugeuses passera de 19 000 à 5 060, et seuls les modèles les plus anciens (IR-1) pourront être utilisés. Les centrifugeuses en excès seront stockées sur le site de Natanz sous scellés de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
Le site souterrain de Fordow sera transformé en centre de physique et de technologie nucléaires. L’Iran ne pourra y mener d’activités relatives à l’enrichissement. Il conservera 1 044 centrifugeuses IR-1 dans cette installation.
Les stocks d’uranium enrichi de l’Iran seront strictement limités. Tout l’uranium enrichi au-delà de 3,67 % devra être expédié hors d’Iran ou dilué, à l’exception de l’uranium contenu dans le combustible du réacteur de recherche de Téhéran. Pendant quinze ans, l’Iran ne pourra pas conserver sur son territoire plus de 300 kg d’uranium enrichi à moins de 3,67 % sous forme d’d’UF6 (hexafluorure d’uranium, la forme gazeuse de l’uranium avant enrichissement). L’excédent devra être exporté ou dilué.
Limiter la production de plutonium
Le plutonium est, avec l’uranium, l’autre matière fissile qui peut être utilisée en vue de la fabrication d’une bombe atomique. L’accord de Vienne stipule que le réacteur de la centrale à eau lourde d’Arak sera modifié pour ne pas pouvoir produire du plutonium à vocation militaire.
Cette conversion du réacteur sera menée sous le contrôle du « P5 + 1 » et de l’AIEA. Le combustible usé sera transféré hors d’Iran, et Téhéran s’engage à ne pas développer d’autres réacteurs à eau lourde pendant quinze ans et à transférer hors du pays le combustible usé de tous ses futurs réacteurs.
Renforcer les inspections
C’était l’un des points les plus délicats de la négociation. Un régime renforcé d’inspections sera appliqué pendant toute la durée de l’accord, et même au-delà pour certaines activités. L’AIEA pourra ainsi vérifier pendant vingt ans le parc de centrifugeuses et pendant vingt-cinq ans la production de concentré d’uranium (« yellow cake »).
L’Iran s’engage à mettre en œuvre, puis à ratifier, le Protocole additionnel (PA) de l’AIEA qui permet des inspections intrusives. Il s’engage aussi à appliquer le code modifié 3.1 de l’AIEA, qui l’oblige à déclarer toute installation dans laquelle est utilisé de l’uranium, six mois au minimum avant le début de son fonctionnement. Selon le texte de Vienne, le PA permet notamment aux inspecteurs de l’AIEA d’accéder aux sites militaires, « si nécessaire et sous certaines conditions », au terme d’une procédure « de dialogue entre le “P5 + 1” et l’Iran ». Par ailleurs, Téhéran autorisera une enquête sur son programme nucléaire passé.
Lever les sanctions
L’objectif majeur des Iraniens était d’obtenir la levée des multiples sanctions (de l’ONU, des Etats-Unis et de l’Europe) qui freinent le développement du pays. Les sanctions adoptées par l’UE et les Etats-Unis visant les secteurs de la finance, de l’énergie et du transport iranien seront levées dès la mise en œuvre par l’Iran de ses engagements, attestée par un rapport de l’AIEA. Cela devrait intervenir début 2016.
La même procédure sera suivie pour lever les six résolutions adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies contre l’Iran depuis 2006. En revanche, les mesures liées à la lutte contre la non-prolifération nucléaire contenues dans ces résolutions (interdiction d’importation de certains matériaux, etc.) seront maintenues pendant dix ans ou jusqu’à ce que l’AIEA ait attesté du caractère exclusivement pacifique du programme nucléaire iranien.
En cas de violation par l’Iran de ses obligations, les sanctions pourront être réintroduites par un mécanisme dit de « snap back ». Celui-ci restera en vigueur pendant dix ans, mais les cinq membres permanents du Conseil de sécurité se sont engagés par écrit à le prolonger ensuite pour une durée supplémentaire de cinq ans.
Maintenir l’embargo sur les armes
Les sanctions relatives aux missiles balistiques et aux importations d’armes offensives sont maintenues. Le transfert de matériels sensibles pouvant contribuer au programme balistique iranien sera interdit pendant huit ans, sauf autorisation explicite du Conseil de sécurité de l’ONU. Idem pour la vente ou le transfert de certaines armes lourdes depuis et vers l’Iran, qui resteront interdits pendant cinq ans.
Les retombées de l’accord sur le nucléaire iranien
Les retombées économiques
Les protagonistes font le pari qu’il sera plus avantageux pour Téhéran de respecter, dans la durée, les clauses de cet accord, qui s’accompagnera de retombées économiques substantielles avec la levée graduelle des sanctions et le déblocage, à terme, de près de 150 milliards de dollars (135 milliards d’euros) d’avoirs gelés à l’étranger.
Le dégel de cette manne inquiète au plus haut point Israël et les monarchies sunnites du Golfe, qui redoutent que l’Iran utilise cette trésorerie pour soutenir encore davantage les milices chiites au Proche-Orient et pour renforcer aussi ses capacités militaires, à un moment où Téhéran est activement impliqué dans les grandes crises de la région, de la Syrie à l’Irak, en passant par le Liban et le Yémen.
Fondamentalement, les adversaires de l’accord de Vienne redoutent que ce compromis ne fera que retarder, et pas empêcher, l’Iran de devenir une puissance nucléaire. Ce n’est pas faux. A cela, les diplomates présents à Vienne rétorquent que cette solution négociée est la seule voie pour désamorcer une crise qui était, de toute façon, imminente puisque l’Iran est déjà sur le seuil de pouvoir se doter d’une arme atomique s’il le souhaite.
De plus, soulignent les partisans de l’accord, ce compromis enraye l’escalade mutuelle de la dernière décennie pendant laquelle l’Iran n’a cessé d’augmenter son dispositif nucléaire malgré l’imposition de sanctions internationales de plus en plus contraignantes. Celles-ci ont ralenti le développement du programme nucléaire iranien mais ne l’ont pas complètement enrayé.
En 2003, lors des premières négociations, l’Iran ne disposait alors que de 160 centrifugeuses, contre près de 20 000 aujourd’hui, qui servent à transformer l’uranium. Enrichi à un niveau élevé, il peut ensuite être utilisé pour fabriquer une bombe atomique. D’où le pari qui sous-tend l’accord de Vienne : mieux vaut négocier un encadrement contrôlé des infrastructures iraniennes, plutôt que de miser sur des sanctions qui n’ont pas empêché l’Iran d’avancer vers la maîtrise d’une filière nucléaire au cours des dernières années.
L’impact géopolitique
Quant aux retombées diplomatiques de cet accord, elles sont potentiellement nombreuses mais encore incertaines. « Comme tous les accords de désarmement, celui de Vienne se focalise sur un aspect restreint mais qui exacerbe tous les autres problèmes entre l’Iran et le reste du monde », note Ali Vaez.
Le compromis de Vienne pourrait constituer le premier pas vers une normalisation des relations entre l’Iran et les Etats-Unis, rompues en 1980 après la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran. Et par là même, amorcer une coopération plus ouverte entre Washington et Téhéran sur les crises en Syrie et en Irak.
A plus court terme, un accord aura sûrement un impact non négligeable sur les marchés mondiaux de l’énergie, en levant les restrictions à l’exportation des immenses réserves iraniennes d’hydrocarbures. Pendant les tractations dans la capitale autrichienne, M. Zarif a ouvertement fait allusion à ces perspectives en cas d’accord.
« Nous sommes prêts à ouvrir de nouveaux horizons pour affronter les défis importants et communs. Aujourd’hui, la menace commune est le développement de l’extrémisme violent et de la barbarie sans limites », a-t-il dit dans une vidéo publiée sur Youtube, dans une allusion au groupe djihadiste Etat islamique (EI). « Pour affronter ce nouveau défi, de nouvelles approches sont absolument nécessaires », a souligné le chef de la diplomatie iranienne, une allusion voilée à la coalition internationale contre l’EI dirigée par les Etats-Unis en Irak et en Syrie, à laquelle ne participe pas l’Iran, qui soutient de son côté les régimes irakien et syrien contre le groupe djihadiste.
Avant d’en arriver là, il faudra encore attendre la mise en œuvre de l’accord de Vienne. Ce premier test permettra de mesurer la volonté de coopération, ou non, de l’Iran.
Si tout se déroule sans obstacles, le texte de Vienne doit maintenant être approuvé par le Congrès américain et par le Parlement iranien. L’AIEA sera ensuite mandatée pour conduire des premières vérifications pendant l’automne. Et si cette instance de l’ONU certifie que l’Iran joue le jeu, les premières levées de sanctions pourraient intervenir vers la fin de l’année 2015. Pour le moment, les diplomates savourent leur satisfaction d’avoir pu sceller un accord introuvable depuis plus de douze ans. Mais ces tortueuses négociations ont aussi incité les uns et les autres à la prudence. « Il existe deux thèses sur l’impact d’un accord, relève un négociateur : ou bien il pousse l’Iran à avoir une attitude plus ouverte, ou bien il incite le régime à compenser cette ouverture par une plus grande rigidité intérieure. »
Le Monde du 14/07/2015