Des sociologues se penchent sur l’islamophobie en France

Les récents attentats terroristes en France et en Belgique risquent d’aggraver le climat de rejet de l’islam et des musulmans en Europe. Pour comprendre le phénomène social de l’ « islamophobie », retour sur un ouvrage sociologique consacré à cette question. Deux sociologues français, Abdeallali Hajjat et Marwan Mohammed, se sont penchés sur le phénomène social dans un ouvrage intitulé : « Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le problème musulman » publié aux éditions La Découverte en 2013.Les chercheurs se sont fixés l’objectif de définir précisément ce concept, malgré ses imperfections, afin de limiter les risques d’instrumentalisation. Pour ce faire, les auteurs mobilisent différents cadres théoriques et outils méthodologiques. Ils présentent une synthèse des données et des débats concernant le terme d’« islamophobie » et le fait social qu’il désigne, les formes de stigmatisation, de discrimination et d’exclusion touchant spécifiquement les musulman-e-s actuellement en France. Ils proposent également une définition opératoire de l’islamophobie : le « processus social complexe de racialisation/altérisation appuyée sur le signe de l’appartenance (réelle ou supposée) à la religion musulmane » Cette définition permet d’articuler les idéologies, les préjugés et les actes avec la construction publique d’un « problème musulman » par certaines élites depuis les années 1980.

La première partie de l’ouvrage est descriptive et porte sur les réalités et l’évaluation de l’islamophobie, à travers l’expérience des musulman-e-s et les statistiques recensées. L’expérience de l’islamophobie constitue une épreuve, crée un sentiment d’illégitimité et un climat de suspicion, et s’ajoute souvent à d’autres difficultés sociales. Elle est enregistrée par le recensement du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), des enquêtes sur les opinions, les discriminations, le rapport aux valeurs ou l’impact des origines, ou encore des statistiques ministérielles. La deuxième partie du livre présente une histoire de la notion, de ses critiques et de ses usages depuis le début du XXe siècle jusqu’au au milieu des années 1990 quand l’islamophobie devient « un phénomène global, historique et racial, réinterprété et redéfini par les musulmans et les non-musulmans ainsi que par les universitaires, les acteurs publics et les militants ». La troisième partie concerne la construction du « problème musulman » depuis les années 1980 en France. Le « problème musulman » découle historiquement du « problème de l’immigration », quand les « élites » administratives, politiques et médiatiques imposent l’enjeu de la maîtrise des flux migratoires au début des années 1970. Il concerne d’abord les travailleurs immigrés, lors des grèves ouvrières de l’industrie automobile en 1982, puis les enfants immigrés avec la mise en place de la Commission sur la nationalité (1987) et la première « affaire du voile » (1989). Des institutions comme le Haut conseil à l’intégration participent à l’institutionnalisation du problème public, à la construction d’une nouvelle norme laïque et à son imposition dans l’action publique.

La quatrième partie porte sur la formation d’une « archive antimusulmane », c’est-à-dire l’histoire des représentations de l’islam dans la pensée théologique et politique européenne du Moyen Age jusqu’à la période de l’expansion coloniale.. Les auteurs proposent enfin une comparaison entre islamophobie et antisémitisme. Tous deux présentent, du point de vue de l’histoire des idées, une relation analogue entre race et religion : « l’appartenance religieuse est censée être le déterminant ultime du comportement individuel et collectif »  La dernière partie présente les mobilisations autour de l’islamophobie. D’un côté, le mouvement de disqualification de la lutte contre l’islamophobie procède de l’illégitimité de la pratique religieuse musulmane et de la légitimation de pratiques discriminatoires. Les auteurs montrent comment malgré l’absence des grandes organisations musulmanes sur ce terrain, une nouvelle vague de militant-e-s, majoritairement issus des minorités, apparaît à partir de 2003. Le CCIF (2003), les Indigènes de la Républiques (2005), les Indivisibles (2006) ou la Coordination contre le Racisme et l’Islamophobie (2008) est apparue sur la scène politique frnaçaise pour porter des positions critiques à l’égard de l’antiracisme traditionnel.

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