La France s’enfonce dans une politique sécuritaire contre-productive
Au lendemain de la réunion du conseil de défense français suite à l’attentat terroriste qui a coûté la vie à un professeur français, le ministre français de l’Intérieur, Gérard Darmanin, a annoncé qu’il souhaitait que soit proposée en conseil des ministres la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), « manifestement impliquée », selon lui, dans les évènements qui ont conduit à la décapitation du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty, vendredi 16 octobre, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Le ministre de l’intérieur a aussi souhaité proposer la dissolution de plusieurs autres associations jugées « ennemies de la République », comme l’ONG islamique BarakaCity, imprégnée d’un islam identitaire. Le fondateur de celle-ci, Idriss Sihamedi, avait été interpellé, mercredi, et il est convoqué au tribunal le 4 décembre « pour harcèlement » en ligne, à la suite d’une plainte de Zohra Bitan, chroniqueuse à RMC.
Depuis l’assassinat de l’enseignant, le CCIF était dans la ligne de mire. En cause, sa participation, présumée par certains, à la campagne de dénigrement lancée contre lui sur les réseaux sociaux par le père d’une collégienne. Le CCIF faisait l’objet d’une campagne de suspicion depuis quelques jours. A-t-il participé, d’une façon ou d’une autre, à cette opération de terrorisme numérique ? Certains lui reprochent même de n’avoir rien fait pour l’empêcher. Mais visiblement la réponse à ces questions n’est pas aussi évidente. Un ancien professeur de mathématiques du nom de Farid qui était présent à un rassemblement organisé en hommage au professeur assassiné est sceptique : « Ça me paraît improbable, mais s’ils l’ont fait, c’est dramatique, ce serait une faute grave, impardonnable » a-t-il déclaré au quotidien français Le Monde qui reconnaît qu’ « il est impossible de retrouver la moindre trace sur Internet et les réseaux sociaux d’un message du CCIF en ce sens ou de la publication de la vidéo du père de la collégienne traitant l’enseignant de « voyou » sur son site ou ailleurs. »
Selon Marwan Muhammad, ancien directeur exécutif du CCIF, la mise en cause de l’association a un objectif précis : « On essaye d’impliquer le CCIF par tous les moyens parce qu’on a envie de l’abattre. Mais je ne vois pas sur quel fondement juridique on pourrait le dissoudre. » « Que l’on soit sur sa ligne ou pas, c’est la seule organisation identifiée par un grand nombre de musulmans pour défendre leurs droits, analyse Farid, l’ancien professeur de maths. Le dissoudre serait perçu comme une attaque directe des musulmans. » « Ce serait une vraie grosse bêtise, confie un fin connaisseur du dossier, qui confirme que le président de la République française l’envisage. « Cela va créer un sentiment d’acharnement dangereusement contre-productif, alors qu’il ne représente finalement pas tant de monde que ça. » ajoute l’expert cité par Le Monde. L’acharnement des autorités françaises contre des associations dont le lien avec une entreprise terroriste n’est pas démontré illustre selon des observateurs la dérive sécuritaire de l’exécutif français, une dérive liberticide qui n’est même pas assurée des résultats escomptés et qui risque même de s’avérer à terme « contre-productive ».
A. Talbi