Le financement de Radio M par Canal France International dans le cadre du programme Ebticar Par Ahmed Bensaada

L’arrestation du journaliste Ihsane El Kadi et la mise sous scellés des locaux de Radio M constituent un évènement dramatique dans l’histoire de la presse en Algérie. Si nous avons été consternés par l’évènement et si nous avons exprimé notre réprobation concernant les procédures et méthodes utilisées à cette occasion et si nous partageons avec le confrère emprisonné l’aspiration à plus de démocratie en Algérie, cela ne signifiait nullement que nous partageons toutes les positions et pratiques défendues par les deux médias incriminés et surtout pas le fit d’accepter un quelconque financement émanant d’organismes internationaux liés directement à des puissances étrangères dont nous connaissons les véritables agendas dans notre pays et dans la région MENA en général. Au moment où les médias mainstream de France et d’ailleurs s’acharnent contre notre pays à cette occasion, nous reproduisons ci-dessous de larges extraits d’un travail rédigé par le chercheur algérien Ahmed Bensaada qui a le mérite de lever le voile sur un aspect que les médias mainstream et leurs relais algériens cachent sciemment, à savoir le financement de Radio M (et d’autres médias arabes soi-disant démocratiques) par un des bras droits médiatiques du Quai d’Orsay, Canal France International (CFI) dans le cadre du fameux programme EBTICAR-MEDIA.

Le programme EBTICAR-MEDIA

En janvier 2014, Canal France International (CFI) a signé deux contrats importants  avec l’Union européenne (UE), d’un montant global de 2,7 millions d’euros.

Une enveloppe de 1,5 millions d’euros (1,2 millions d’euros de l’UE) a été attribuée au premier qui est dédié à l’accompagnement et le développement de médias syriens indépendants, principalement par le biais de formations. Dans le cadre de ce projet, le CFI a aménagé un centre de médias, le Syrian Media Incubator, dans la ville turque de Gaziantep, à 60 km de la frontière syrienne.

Le second contrat, d’une durée de trois ans (2014-2016) est destiné au financement de projets « visant à développer l’information en ligne » dans la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Doté d’un budget de 1,5 millions d’euros, le programme ciblait neuf pays arabes dont, évidemment, l’Algérie. Cette somme a servi à financer des projets « portés par des médias privés ou associatifs »   ou par « de nouveaux médias d’information en ligne indépendants ».

En avril 2014, le CFI lança le premier appel à propositions dans le cadre de EBTICAR MEDIA, dont le premier mot est l’acronyme de « E-Booster for Technical and Innovative Contents in the Arab Region ».  Ebticar veut aussi dire « innovation » en arabe.

Il faut savoir que les projets sélectionnés ont obtenu des subventions dont le montant varie entre 20 000 et 80 000 euros.

Les 8 et 9 juillet 2014, le jury d’EBTICAR s’est réuni à Marseille dans le but de sélectionner les projets qui bénéficieront de leur financement.

Onze projets ont été finalement retenus:

  1. New Syrian Voices (Syrie)
  2. Visualizing X (Liban)
  3. Mada Masr Super Desk (Egypte)
  4. Radio M (Algérie)
  5. Inkyfada (Tunisie)
  6. Mashalla News (Liban)
  7. Collective Photo Documentary (Liban)
  8. Tunisie Bondy Blog et Speak out Tunisia (Tunisie)
  9. ARIJ (Jordanie)
  10. Webticar (Tunisie)
  11. Arablog (Trans-Arabe)

On voit bien que le projet « Radio M » est le seul projet algérien accepté en 2014. Et comme les dix autres projets, il a reçu entre 20 000 et 80 000 euros.

Lors des deux jours de sélection à Marseille, les candidats ont participé à des ateliers de formation  dans le but de favoriser leur réseautage, activité qui s’est poursuivie par la suite.

En 2015, Nejma Rondeleux, journaliste et coordonnatrice de Radio M à l’époque explique sur les colonnes du Qutidien d’Oran, ce à quoi a servi cette subvention du CFI:

« Grâce à la subvention Ebticar-Media – accordée par Canal France International (CFI) et l’Union européenne pour le développement des médias en ligne dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient – décrochée par Radio M en juillet dernier, à l’issue du premier appel à proposition, la webradio algéroise est en train de s’équiper d’un vrai studio. »

Il faut dire que Mme Rondeleux avait déjà expliqué cela dans une vidéo tournée à Beyrouth en 2014 :

« L’idée avec cette subvention que l’on va obtenir de EBTICAR, c’est d’étendre notre grille de programme, de s’équiper d’un studio en bonne et due forme avec des caméras parce qu’on aimerait faire de la radio filmée, insonorisée, de former aussi des journalistes sur la radio, avoir des techniciens. »

Dans le rapport 2015 de CFI ,Soumia Ferkali, animatrice à Radio M, déclare:

« La subvention d’EBTICAR nous a permis de franchir deux étapes importantes : lancer notre propre site et développer notre studio ».

En résumé, Radio M a reçu de CFI un financement qui se situe entre 20 000 et 80 000 euros. D’après l’utilisation déclarée de cette subvention (studio professionnel, formation des journalistes, techniciens, site web), on peut admettre qu’elle est plus proche du maximum que du minimum. Rappelons à cet effet le montant de 60 000 US$ octroyé en 2015 par la NED (National Endowment for Democracy) pour la mise en place de Radio RAJ  (Rassemblement Actions Jeunesse), un projet moins ambitieux que celui de Radio M.

Le CFI : au service du Quai d’Orsay

CFI est une filiale du groupe France Médias Monde. Ce groupe réunit France 24, RFI et Monte Carlo Doualiya.France Médias Monde est donc la société mère de CFI, l’agence française de coopération médias, et l’un des actionnaires de la chaîne francophone généraliste TV5 MONDE.

D’autre part, CFI est financé par le ministère des Affaires étrangères français. Sur son site, on peut lire : 

« CFI est un opérateur public majoritairement financé par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, dont la subvention annuelle (inscrite sur le programme budgétaire 209 – Solidarité avec les pays en développement) couvre environ 85% de son budget. Le mandat de CFI s’inscrit donc dans le cadre de la politique française d’aide publique au développement. »

Et, au sujet de sa relation avec le Quai d’Orsay :

« Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) confie à CFI la mission de mettre en œuvre sa politique d’appui au développement des médias publics et privés, et plus généralement du secteur audiovisuel dans une perspective tri-média, dans les pays bénéficiaires de l’aide publique au développement. »

Quant à la méthode de travail, elle est explicitée :

« CFI analyse chaque situation nationale, élabore ses projets, les met en œuvre et les évalue en étroite relation avec le réseau diplomatique français et tout particulièrement avec les services de coopération et d’action culturelle. La relation qui unit le ministère à CFI est ainsi basée sur un esprit de partenariat et de confiance, notions clés de notre coopération. Elle est le fruit d’un travail quotidien en termes d’écoute, d’échange d’information et de consultation. »

Dans une rencontre organisée par CFI à Paris en 2016, Romain Nadal, porte-parole du Quai d’Orsay répond de vive voix à la question « Quelles relations entretiennent le CFI et le Quai d’Orsay ? ». Voici la réponse:

« CFI, opérateur de médias qui est chargé de la coopération dans le domaine des médias, est une agence du ministère des Affaires étrangères dont l’objectif est de soutenir les médias, en particulier l’émergence des médias en ligne […] »

Le conseil d’administration de CFI  se compose de trois représentants de France Médias Monde et de quatre représentants de l’État français, dont deux du ministère des Affaires étrangères.

Le PDG de CFI se nomme Thierry Vallat, un diplomate de carrière, arabisant de formation, spécialiste de la région MENA. Il a servi, entre autres, en Arabie saoudite, en Syrie, au Liban, dans les Territoires palestiniens, en Israël et au Maroc. Il a aussi été chef du Département de la formation et sous-directeur de la communication du Quai d’Orsay.

Son équipe est constituée d’un ancien délégué permanent auprès de l’Union européenne pour la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH), d’un ancien conseiller technique de Freedom House, d’une ONGiste, d’anciens diplomates, de spécialistes de la Communication ayant œuvré dans les médias étatiques français, etc.

Pour faire simple, le CFI est un organisme étatique français qui applique la politique du Quai d’Orsay, dictée par le gouvernement français, dans des pays ciblés et l’Algérie en fait partie.