Lettre aux camarades de la section de la Ligue des droits de l’Homme de Quimperlé Par Mohand Biri
Nous reproduisons ci-dessous la lettre envoyée par le journaliste algérien Mohand Biri, à la section de la Ligue des droits de l’Homme de Quimperlé (Bretagne) pour justifier son refus de participer à une semaine internationale organisée entre le 30 octobre et le 8 novembre par la mairie (PS) de cette ville et ce, en raison de la présence du MAK à cette initiative.Pour rappel, Mohand Biri est un ancien journaliste algérien ayant exercé notamment au quotidien indépendant La Tribune et au Quotidien d’Oran.
Comme vous le savez, j’ai été invité par vous -mêmes, il y a quelques mois, précisément avant les vacances d’été, soit en juin 2015, pour animer une conférence autour du thème du « présent et de l’avenir du monde arabe ». Comme vous le savez ,également, j’ai donné mon accord de principe ,conscient que j’ai été invité par la section de la LDH de Quimperlé, organisation avec laquelle je partage, en tant militant des droits de l’Homme, les grandes valeurs fondatrices de l’humanisme et des Droits de L’homme …Comme vous le savez enfin je n’ai reçu le programme de cette Semaine internationale que très récemment, Un rapide survol de ce programme m’a suffi pour me rendre compte d’un fait : un « gouvernement provisoire de Kabylie », à travers un certain Ferhat Mhenni, se présentant comme président bénéficie de tous les soins de la part de la Ville de Quimperlé. En effet, la quasi- totalité de cette Semaine est consacrée à la promotion politique d’un « gouvernement provisoire de Kabylie » Connaissant la nature anti-démocratique et raciste de ce prétendu « gouvernement provisoire de Kabylie » qui ne bénéficie d’aucune légitimité politique ou idéologique ,je ne pouvais, vous le comprendrez, cautionner par ma participation une telle initiative …
Comment aurais -je pu réagir autrement ,puisque qu’à notre grand étonnement, aucune formation politique ou intellectuel algérien n’a été invité à cette Semaine pour discuter dans le respect du pluralisme des idées et des options politiques…Aucune formation politique : pas même le FFS parti membre,à l’instar du PS ,de l’Internationale socialiste …Seul un prétendu président d’un prétendu « gouvernement provisoire de Kabylie » ont été invités à cette Semaine …Il faut peut-être rappeler ici un autre fait : ce prétendu président -qui se gargarise d’avoir été un défenseur des droits de l’Homme – a été ,il y a quelques années ,l’un des hauts dirigeants du RCD,groupe politique qui s’est distingué durant la décennie 90 par son implication, connue de tous dans une politique de répression extra judiciaire des plus condamnables …
Vous pouvez consulter le programme pour le moins singulier de cette Semaine Internationale et vérifier en toute objectivité nos dires et aboutir à quelques interrogations lourdes de sens: est -ce ainsi qu’on informe ,en toute objectivité et dans le respect de chacun ,les citoyens de Quimperlé ? Est -ce ainsi qu’on cultive l’amitié et la solidarité internationales ? Est -ce ainsi qu’on promeut le vivre -ensemble et la démocratie en Algérie ? Est- ce ainsi qu’on participe à l’établissement de la paix et de la sécurité en Méditerranée occidentale, paix et sécurité si nécessaires à l’épanouissement de toutes les libertés et de tous les droits ? Ces questions s’adressent à chaque militant des Droits de l’Homme et à chaque citoyen libre. A chacun d’y réfléchir sereinement, loin de tous les préjugés ou faux compromis.
Camarades de la section de la LDH de Quimperlé.
Le racisme sous toutes ses formes est absolument incompatible avec les principes fondateurs des Droits de l’Homme .En clair, parce que militant des droits de l’Homme, nous ne pouvons cautionner des initiatives faisant la promotion de groupes politiques d’extrême -droite dont le racisme anti arabe et anti musulman n’est un secret que pour ceux qui font semblant de l’ignorer. A l’ère du Net, beaucoup de choses peuvent se connaître et se vérifier. Comment peut -on ,effet ,définir une citoyenneté par le seul « lien du sang » ,comme le fait explicitement Ferhat Mhenni (voir l’interview sur algeriefocus) sans ,au minimum , nous interroger sur l’identité idéologique et politique du mouvement qu’il dirige? Comment ignorer la nature de ce « gouvernement provisoire de Kabylie » tout en sachant que celui-ci est allié au très islamophobe groupuscule « Riposte laïque » ? Qui peut ignorer l’alliance de ce pseudo « gouvernement provisoire de Kabylie » avec gouvernement colonialiste et assassin israélien ?
Pour être à la hauteur des exigences de notre époque et rester fidèles aux principes et valeurs des Droits de l’Homme qui sont les nôtres, principes et valeurs qui sont et doivent être universels, nous devons faire preuve davantage de rigueur et de lucidité . La solidarité internationale avec les associations et les partis qui luttent pour l’avènement d’un Etat de droit démocratique et pour la consécration des droits de l’Homme dans le monde arabe et plus particulièrement au Maghreb est un devoir élémentaire. C’est là un principe non négociable . Cependant, la mise en oeuvre de ce devoir de solidarité internationale en France doit se faire dans le respect des principes fondamentaux qui guident l’action des militants des droits de l’Homme et des partis démocratiques en France. C’est là un autre principe non négociable. Deux principes qui doivent ,en toutes circonstances ,restés intimement liés .En clair ,ce qui est valable en France et entre Français l’est et doit l’être en Algérie et entre Algériens ! Dans les pays du Moyen orient et du Maghreb, les sociétés civiles commencent à se réveiller pour réclamer de plus grands espaces de libertés face à des Etats autoritaires qui ont pu longtemps compter sur la complaisance des démocraties européennes et qui n’hésitent pas souvent, à mettre leurs intérêts économiques au-dessus des principes humanitaires qu’elles agitent dans les enceintes internationales.
La solidarité internationale avec les sociétés civiles, les associations et les partis démocratiques qui luttent pour la démocratie a besoin de courage mais aussi de lucidité politique. L’autoritarisme des Etats du monde arabe n’est pas seulement l’expression d’un sous-développement politique à déplorer et à combattre. Il s’agit aussi de la mauvaise réponse des Etats à des tendances centrifuges émanant de la société et qui ne sont pas toujours favorables à l’établissement d’un Etat de droit démocratique. Les sociétés maghrébines sont ainsi travaillées en profondeur par des mouvements ethno-nationalistes et intégristes qui contestent certes les régimes en place mais sans proposer de véritables alternatives démocratiques. Ces mouvements qui se nourrissent de frustrations réelles sont généralement soutenus par des puissances étrangères, notamment occidentales, qui ont intérêt à affaiblir, voire à détruire les Etats-nations en question. C’est le cas notamment, des mouvements séparatistes à caractère ethno-régionaliste qui se développent au Moyen Orient et au Maghreb. En remettant en question l’unité nationale et l’intégrité des Etats de leurs pays respectifs, ces mouvements constituent une menace pour la stabilité et la paix dans la région.
Cette question doit être mûrement étudiée et prise en compte dans toutes nos pratiques. Le mouvement séparatiste kabyle en Algérie, représenté par le MAK (Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie) ne constitue pas une exception. Le fait que le MAK utilise la rhétorique démocratique ou moderniste européenne, pour gagner les faveurs des partis et des médias français et européens, ne doit pas nous tromper. Ce n’est là que ruse de langage .Comme tous les mouvements d’extrême-droite, le MAK et son « gouvernement provisoire de Kabylie » érigent le mensonge et la falsification des faits au rang de principes de conduite: Ferhat Mhenni n’a t -il pas soutenu sans crainte du ridicule, qu’il a été reçu récemment par l’ONU ? Ferhat Mhenni a confondu rassemblement de quelques personnes devant l’une des portes du siège de l’ONU, ce que toute personne peut faire, avec une réception officielle par l’ONU ! Pis encore, Ferhat Mhenni et ses camarades du MAK affirment sans crainte du ridicule ,que les Kabyles seraient victimes d’un « colonialisme algerien »…
Certes, en Algérie comme dans les autres pays maghrébins et ailleurs de par le monde, en France notamment – et vous en savez ,bien entendu ,quelque chose en tant que Bretons ! – la question des droits de l’Homme et des minorités culturelles se pose avec acuité et demande une solution à même de promouvoir dans son effectivité la démocratie. En Algérie comme ailleurs au Maghreb et dans le monde arabe, le modèle républicain français est susceptible d’inspirer les forces qui aspirent à édifier un Etat réellement démocratique, garant des libertés de tous mais sans tomber dans le travers de l’ethno-régionalisme ou ethno -nationalisme pourvoyeurs de haine et de guerre.
A cet égard, il n’est pas normal que des partis qui défendent en France le modèle républicain contre les tentations du communautarisme ou de l’ethnicisme se montrent pour le moins complaisants avec un mouvement ethniciste dont la haine de l’Autre (l’Arabe) et ou (Le Musulman ) constitue le moteur principal de l’action politique. La lutte contre l’extrémisme religieux musulman ne doit pas devenir un alibi ou un prétexte pour tomber dans la complaisance à l’égard d’un ethno-nationalisme kabyle dont on peut vérifier le racisme et la haine de l’autre. Le républicanisme français est fondé sur le rejet de tout communautarisme qu’il soit à caractère religieux ou ethnique. C’est là un fait incontestable. Dans l’esprit républicain, la promotion d’une culture régionale, quelle qu’elle soit, ne doit pas se faire CONTRE une autre culture mais pour le développement des valeurs humanistes universelles dans le vecteur de la langue et de la culture considérée. C’est là également un principe non négociable. Le discours et la pratique du MAK sont à mille lieux de cet esprit républicain qui doit toujours guider notre action de solidarité internationale pour la promotion de la démocratie et des droits de l’Homme.