Mohamed Tahar Bensaada décrypte les derniers développements en Palestine occupée

28.01.2023. Les développements que connaît la scène palestinienne depuis 48 heures sont à la fois dramatiques sur le plan humain et dangereux pour la paix dans la région. Pour décrypter ce qui se passe, nous avons interrogé Mohamed Tahar Bensaada de l’Institut Frantz Fanon.

Comment évaluez-vous les derniers développements qui se sont produits en l’intervalle de deux jours à Jénine et Al–Qods ?

Premièrement, il faut être aveugle pour ne pas voir que l’opération d’Al-Qods qui a fait 7 morts parmi les colons israéliens est une réponse directe au massacre perpétré la veille par l’armée d’occupation israélienne dans le camp de Jénine. Secundo, ,la violence qui s’est emparée des territoires occupés était prévisible et redoutée par tous les observateurs honnêtes. L’année 2022 fut particulièrement coûteuse en vies humaines et s’est terminée par une aggravation du climat de violence xénophobe dirigé contre les Palestiniens comme l’illustre l’arrivée au pouvoir d’une coalition de droite et d’extrême-droite. Avec l’arrivée d’un extrémiste comme Itamar Ben Gvir à la tête du ministère de la Sécurité publique, il ne fallait pas s’attendre à une désescalade.

Mais l’année 2022 a connu également l’émergence d’un nouveau mouvement de protestation populaire accompagné d’actions de résistance armée. Ce dernier a cette particularité qu’il émane d’une nouvelle génération de résistants palestiniens qui échappent complètement au contrôle des organisations palestiniennes traditionnelles même si ces dernières n’hésitent pas à l’approuver et à l’encourager. Il s’agit à n’en pas douter d’une nouvelle intifada dont l’avenir nous dira si elle sera plus efficace que les précédentes et si elle va réussir à créer une nouvelle donne politique et diplomatique susceptible de mettre fin au système d’Apartheid en vigueur en Palestine occupée.

L’Administration américaine vient de renouveler son soutien à l’Etat d’Israël et la communauté internationale, y compris la Ligue des Etats arabes, continue de briller par sa passivité. Que peut espérer le peuple palestinien dans ces conditions ?

La déclaration du président américain le jour même de l’opération d’Al-Qods qu’il a qualifiée d’ « attentat terroriste contre le monde civilisé », n’est pas seulement cynique sur le plan moral. Elle est également contre-productive sur le plan diplomatique. Le processus d’Oslo déclenché par les Américains au lendemain de la première guerre d’agression contre l’Irak dans le but de favoriser l’émergence d’un « Nouveau Grand Moyen Orient » à leur botte a été vidé de toute substance par la politique colonialiste et expansionniste de l’Etat d’Israël lui-même et ce qui se passe actuellement risque de signer son arrêt de mort officiel.

Dans le contexte de l’après guerre d’Ukraine, les Américains qui sont en train de perdre des points dans la région au profit de la Russie et de la Chine, prennent le risque de fragiliser encore plus leur position;. Bien entendu, une déclaration à usage médiatique faite par un président américain, qui ne pouvait ignorer ni le poids du lobby juif aux Etats-Unis ni la place spéciale de l’Etat d’Israël dans l’architecture géopolitique régionale, ne saurait résumer la politique moyen-orientale des Etats-Unis. Le secrétaire d’Etat américain en déplacement dans la région dans les prochains jours va tenter d’imposer des mesures en vue d’une désescalade mais rien ne garantit qu’il va réussir dans la mesure où les acteurs sur lesquels il compte – le gouvernement de Benyamin Nétanyahou et l’Autorité de Mahmoud Abbas- semblent incapables, pour des raisons différentes, de contenir les dangereuses dérives auxquelles nous assistons depuis plusieurs mois.

En tout état de cause, ni l’alignement inconditionnel de la politique américaine sur Israël ni la passivité de la communauté internationale ne peuvent arrêter la lame de fond de la nouvelle intifada palestinienne que des tendances sociologiques lourdes semblent pousser en avant. La radicalisation de la protestation populaire risque même d’entrainer dans sa dynamique d’autres sociétés arabes qui ploient sous le joug de régimes despotiques et corrompus et qui , au lieu d’accepter de se réformer, sont en train de tenter de sauver leur existence par la normalisation avec l’Etat d’Israël. Dans les conditions actuelles, il convient de se poser la question si le peuple palestinien a vraiment un autre choix que celui d’entrer dans une confrontation directe et globale avec l’Etat colonialiste et raciste d’Israël quel que soit par ailleurs le coût élevé de cette confrontation en termes de vies humaines et dont les Etats-Unis portent une grande part de responsabilité politique et morale.

Comment évaluez-vous la position algérienne à la suite des derniers développements dans les territoires occupés ?

Dans le contexte international et arabe actuel, force est de reconnaître que l’Algérie se démarque par une position honorable. Outre son engagement diplomatique au profit de la cause palestinienne dans les enceintes internationales, l’Algérie a rendu un grand service politique à la cause palestinienne en organisant à Alger un sommet de réconciliation inter-palestinienne qui va dans le sens de la nécessaire unité d’action des rangs palestiniens qui constitue comme on le sait une condition indispensable à l’affermissement de la résistance anticolonialiste. Par ailleurs, l’Algérie qui n’a jamais manqué à ses engagements en matière de financement des institutions palestiniennes à raison de 52 millions de dollars par an, ne ménage aucun effort en matière de solidarité humanitaire avec le peuple palestinien comme on le constate à Gaza.

Cependant, dans le contexte actuel et partant des menaces que fait peser l’Etat d’Israël sur la sécurité nationale algérienne depuis qu’il a décidé de venir s’installer aux frontières ouest de l’Algérie, cette dernière se voit obligée de réfléchir sérieusement à une riposte à la hauteur des défis sécuritaires posés. Bien entendu, l’Algérie ne doit pas tomber tête baissée dans les provocations du Makhzen et d’Israël. Une riposte intelligente et multidimensionnelle peut et doit être envisagée. Par ailleurs, il convient de bien distinguer entre ce qui relève des devoirs d’un Etat algérien soumis à des contraintes diplomatiques incompressibles dans le cadre d’un ordre international taillé à la mesure des grands et dont les incertitudes actuelles recommandent la plus grande prudence et ce qui relève des devoirs de la société civile algérienne qui est appelée aujourd’hui à s’engager plus et mieux aux côtés du peuple palestinien non seulement parce que la cause palestinienne continue d’être au centre d’une confrontation géopolitique mondiale dont le point de fixation se situe au Moyen Orient mais aussi parce que l’alliance israélo-marocaine est en train de devenir une menace réelle pour l’Algérie, nation et société.