MT Bensaada décrypte les derniers développements du conflit israélo-palestinien
Les derniers développements du conflit israélo-palestinien constituent à n’en pas douter un tournant important dans l’histoire de la région et permettent d’espérer de nouvelles perspectives pour la cause palestinienne après les revers qu’elle a subis à la suite de l’ « Accord du siècle » de Donald Trump et le processus de normalisation en cours entre l’Etat d’Israël et plusieurs pays arabes. Pour comprendre les enjeux stratégiques liés à ces développements, nous avons posé trois questions à Mohamed Tahar Bensaada de l’Institut Frantz Fanon.
Après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu à Gaza la résistance palestinienne a proclamé sa victoire sur l’agresseur israélien. Pensez-vous réellement que c’est le cas et quelles sont les perspectives à court terme selon vous ?
Oui la résistance palestinienne a le droit de parler de victoire si on entend par là le fait qu’elle ait pu résister durant 11 jours aux bombardements intenses effectués par une des premières forces aériennes à travers le monde. Rappelons-nous, il y a eu des raids qui ont vu la participation de pas moins de 160 appareils. Certes, ces raids ont pu éliminer quelques dirigeants de la résistance surtout les premiers jours et neutraliser une partie du potentiel militaire de la résistance mais la plus grande partie de ce potentiel est intacte. Malgré des services de renseignements très actifs, l’armée de l’occupant a été surprise par l’existence de missiles de longue portée et de drones sous-marins, etc. Mais bien entendu, il serait réducteur et naïf de circonscrire la victoire palestinienne dans le seul registre militaire. Les nouvelles capacités militaires et technologiques de la résistance dénotent un progrès réel par rapport à la donne de 2014 et augurent d’un changement de l’équation stratégique régionale à moyen terme mais il ne faut pas oublier que c’est le soulèvement du peuple palestinien dans les territoires occupés et à l’intérieur de la ligne verte de 1948 qui a fait la différence stratégique et a fait craindre aux dirigeants israéliens et leurs alliés américains une transformation du conflit et un enlisement incontrôlé susceptibles d’être exploités par des puissances rivales à l’affût. Il reste à espérer que les Palestiniens sachent transformer cette victoire tactique sur le terrain en victoire stratégique. La résistance palestinienne devra faire preuve de génie politique et diplomatique dans la nouvelle étape qui s’ouvre. Le chemin de la libération est encore long et semé d’embûches. Les manoeuvres politiques et diplomatiques qui vont se multiplier dans les prochains jours ne sont pas moins dangereuses que les bombes lancées contre Gaza. Pour cela, les Palestiniens ont besoin plus que jamais de compter sur leur unité nationale, par-delà les divergences qui existent entre les différentes composantes de la résistance, et sur la mobilisation populaire autour des revendications politiques les plus pressantes comme l’arrêt de la colonisation et des expulsions à Jérusalem mais dans le cadre non négociable de la reconnaissance du droit du peuple palestinien à l’édification d’un Etat indépendant et viable avec pour capitale Jérusalem, conformément à la légalité internationale.
Quelles sont les répercussions des derniers développements de ce conflit sur la sécurité régionale et comment interpréter le rôle actif joué par l’Egypte dans les négociations en vue d’arriver à un cessez-le-feu ?
Le conflit israélo-palestinien cristallise des enjeux géopolitiques et stratégiques qui dépassent de loin sa circonscription géographique. Sur le plan stratégique, Israël est une base avancée de l’Amérique dans la région. Sur le plan symbolique, Israël signifie la présence de la civilisation occidentale en Orient. Malgré lui, le peuple palestinien se trouve engagé dans une confrontation géopolitique mondiale. S’il a jusqu’ici souffert de sa solitude, le peuple palestinien est appelé tôt ou tard à être rejoint par les peuples de la région qui subissent à des degrés divers l’exploitation et l’oppression d’un système mondial injuste. Pour leur propre stabilité, certains Etats de la région sont obligés de faire face à la politique hégémonique de l’Etat d’Israël. On ne peut pas comprendre l’évolution perceptible de la politique égyptienne dans ce dossier si on ne la relie pas aux craintes qu’inspire à ce pays les projets israélo-émiratis visant à contourner le canal de Suez par la création de nouvelles voies commerciales alternatives et l’édification d’un gazoduc reliant les ports du Golfe à l’Europe via Israël. De son côté, l’Iran ne peut pas rester les bras croisés devant les menaces israéliennes et c’est de bonne guerre s’il a choisi d’anticiper en renforçant le potentiel balistique de la résistance palestinienne à Gaza dans ce qui s’apparente à un message diplomatico-militaire qui sera reçu sans nul doute cinq sur cinq par les Israéliens et les Américains. On ne rappellera jamais assez, à cet égard, le haut degré d’intelligence politique avec lequel la direction de la résistance palestinienne a du gérer toutes ces exigences contradictoires et tenir compte des équilibres d’un ordre régional très complexe.
Que pensez-vous de la position algérienne tant du point de vue officiel que du point de vue de la classe politique et de la société civile ?
Officiellement, par la voix du président de la république et plus récemment le ministre de affaires étrangères, l’Algérie a réaffirmé son attachement à la cause palestinienne et à la légalité internationale. Les Palestiniens, toutes tendances confondues, n’hésitent pas à saluer à chaque occasion les positions honorables de l’Algérie sur ce dossier. L’Algérie ne se contente pas de discours puisqu’elle contribue régulièrement au budget palestinien à raison de 52 millions de dollars par an auxquels il faut ajouter les aides à caractère humanitaire au profit de Gaza qui touchent tous les secteurs stratégiques (éducation, santé, énergie). Cependant, si on part de l’idée que la question palestinienne est en dernier ressort une question de sécurité nationale, l’Algérie, aussi bien au niveau étatique qu’au niveau populaire, est malheureusement très loin de ce qui est exigé en pareilles circonstances. Même si l’Algérie n’a ni les moyens ni d’intérêt à rivaliser avec les puissances régionales qui jouent aujourd’hui les premiers rôles dans la gestion de ce conflit, elle peut faire mieux notamment dans le domaine du soft Power où les efforts publics et privés émanant de la société civile peuvent se conjuguer.Il suffit de penser au rôle que peut jouer le Croissant rouge algérien dans ce cadre si les responsables algériens pouvaient se hisser au niveau requis par les nouveaux défis stratégiques et diplomatiques. L’Algérie est attendue sur d’autres dossiers sensibles comme le renforcement des mouvements de gauche de la résistance palestinienne qui souffrent aujourd’hui d’une grande solitude en raison de la destruction ou de l’affaiblissement de leurs alliés historiques dans la région (Libye, Syrie) L’Algérie peut également jouer un rôle plus actif dans le processus de réconciliation et d’entente entre le Hamas et le Fatah dans l’intérêt de la cause palestinienne. Mais bien entendu, pour être prise au sérieux à des milliers de kilomètres de chez elle, l’Algérie se doit d’abord d’imposer de manière plus active le respect de ses intérêts stratégiques dans son propre périmètre géopolitique. Si le changement opéré dans la Constitution à cet effet, qui permet désormais à l’armée algérienne d’intervenir sous certaines conditions en dehors de ses frontières, laisse espérer une évolution dans ce sens, il reste que la proactivité stratégique n’a pas toujours besoin de s’encombrer d’opérations lourdes et nécessite de nouvelles postures tactiques dans la réponse circonstanciée aux défis posés par des acteurs multiples dont certains avancent à découvert et d’autres masqués. Pour cela, il faut des révisions doctrinales urgentes et surtout une rupture radicale avec la médiocrité ambiante, générée par un système bureaucratique et rentier à bout de souffle, en vue de créer un nouvel environnement susceptible de favoriser l’éclosion et la mobilisation des compétences nationales à tous les niveaux et dans tous les secteurs.