In Memoriam Saddek Hadjeres, un homme, une histoire
Par Hassen Zerrouki
Sadek Hadjeres, 94 ans, n’est plus. Depuis son retrait du PAGS (Parti de l’avant-garde socialiste) en décembre 1990, un parti dont il a été l’un des fondateurs en 1966 et qu’il a dirigé durant 24 ans. Après avoir fait ses premières armes au sein du PPA (Parti populaire algérien), il aura été en tant que militant, puis comme l’un des dirigeants du Parti communiste algérien (PCA) durant la guerre de Libération nationale puis en tant que secrétaire général du PAGS (1966-90), un témoin actif et engagé de l’histoire mouvementée de l’Algérie. Et afin que tout cet héritage ne tombe pas dans l’oubli, Sadek Hadjeres s’est alors investi dans un travail de mémoire fait de témoignages, de documents d’archives, de contributions théoriques et d’analyses, rendant compte de l’apport des communistes algériens à la libération du pays. Ensemble qu’on peut consulter sur son site en ligne Socialalgérie.
Sur le même site, Sadek Hadjeres donne aussi sa version de la crise ayant secoué le PAGS avant sa dissolution actée par le congrès de 1993, et qui a donné naissance à Ettahadi devenu par la suite MDS (Mouvement démocratique et social).
Sadek Hadjeres aura ainsi incarné une ligne et une stratégie politiques, avec ses hauts et ses bas, celle de l’ex-PAGS (Parti de l’avant-garde socialiste), une ligne qui ne saurait être réduite au seul «soutien critique». Et une histoire, celle du PAGS, d’un parti qui a été pour beaucoup d’entre nous, une formidable école, un lieu de fraternité et de combat, et ce, quelles que soient les trajectoires suivies par la suite par celles et ceux qui en ont fait partie.
Quant à son positionnement sur de nombreux sujets d’actualité, par respect pour sa mémoire ce n’est ni le moment ni le lieu d’en débattre. Retenons toutefois que Sadek Hadjeres tout comme le PAGS n’étaient pas préparés à activer au grand jour au sortir d’Octobre 1988 et de l’avènement du multipartisme. Ils n’ont pas vu venir l’explosion d’Octobre 88 et ont été comme beaucoup pris de court par l’Histoire. Tout comme ils avaient sous-estimé ce qui se passait dans les pays socialistes d’Europe de l’Est, affichant au passage un espoir démesuré dans la perestroïka (réformes) de Mikhail Gorbatchev, une pérestroïka qui n’a pu empêcher la fin de l’ex-URSS et du «socialisme réel» que le PAGS a toujours soutenu sans réserves. La disparition de l’ex-URSS et de ce qui fut le camp socialiste, qui étaient des repères politico-idéologiques pour le mouvement communiste et progressiste mondial, a provoqué un certain malaise dans les rangs du PAGS et fragilisé sa vision des réalités algériennes. Tout ce à quoi croyaient les cadres et militants s’effondrait. Ainsi des thèses sur l’inéluctabilité du passage du capitalisme au socialisme à l’échelle mondiale, de la voie non capitaliste de développement comme étape transitoire vers l’instauration du socialisme en Algérie, et de la nécessité d’une alliance entre communistes et «démocrates révolutionnaires» au sein et en dehors du pouvoir, vue comme une étape stratégique pour le passage au socialisme… Le double choc provoqué par Octobre 1988 et le tremblement de terre provoqué par la chute du mur de Berlin, et par la suite la disparition de ce qu’on appelait le «camp socialiste» n’étaient pas sans rapport avec la crise qui a éclaté par la suite au sein du PAGS.
Cette crise, que d’aucuns attribuent à une manipulation de la police politique, est en réalité celle d’un PAGS activant, certes, sous forte pression, dans l’urgence, dans un contexte où le sort de l’Algérie en tant que nation et Etat était menacé, mais aussi d’un parti néanmoins ancré dans ses certitudes, prisonnier d’une culture politique décalée et donc insuffisamment outillé théoriquement, sans autre perspective stratégique qu’un appel à un «Front national démocratique» pour faire face à la montée des forces rétrogrades.
Sadek Hadjeres est parti. Son histoire est inséparable du PAGS. Il a laissé des écrits, des livres. Il a dirigé un parti qui a marqué l’histoire sociale et politique du pays, un parti dont le terrain social était la véritable ADN et dont la disparition a laissé un vide.
Le Soir d’Algérie 10/11/2022