In Memoriam Saoudi Abdelaziz, une étoile qui a éclairé la sombre nuit de la gauche algérienne s’est éteinte

Par Mohamed Tahar Bensaada

Le 22 octobre dernier, nous a quittés Saoudi Abdelaziz, un grand militant algérien qui est resté jusqu’au bout fidèle à ses convictions communistes, anticapitalistes et anti-impérialistes. C’est avec une grande tristesse que j’ai appris la nouvelle de sa mort. Des ennuis de santé m’avaient éloigné de la lecture régulière de son blog. En apprenant la triste nouvelle de la disparition de Saddek Hadjeres, je suis allé consulter le blog de Saoudi. Et là ce fut la consternation. J’apprends le décès de Saoudi Abdelaziz depuis déjà près de deux semaines !

Je n’ai pas eu la chance de connaître personnellement le regretté Saoudi Abdelaziz mais seulement de manière indirecte à travers nos écrits croisés dans lesquels il nous est arrivé de commenter nos articles respectifs sur l’actualité algérienne, arabe et internationale. Je voudrais ici dans cet hommage revenir sur l’héritage intellectuel de ce grand militant algérien que les jeunes générations, qui ont repris le flambeau de la lutte pour la démocratie sociale et la préservation de l’indépendance et de la souveraineté nationales, auraient un grand intérêt à connaître et à s’en inspirer.

Né à Jijel en 1944, Saoudi Abdelaziz a rejoint le FLN en 1960 à l’âge de 16 ans. Mais dès l’accession du pays à l’indépendance, en 1962, il va quitter cette organisation minée par des luttes intestines pour le pouvoir et infiltrée déjà par des arrivistes qui visaient les postes et les privilèges et rejoindre le parti d’opposition qui répondait le mieux à ses aspirations, le parti communiste algérien (PCA). Quelle intelligence et quel courage il fallait à un jeune de 18 ans promis à de belles études de biologie pour entrer dans un parti qui sera bientôt interdit et condamné à la clandestinité par le nouveau pouvoir instauré en Algérie.

L’histoire de Saoudi Abdelaziz se confondra par la suite avec celle des militants qui ont décidé de mener un difficile combat sur plusieurs fronts : la lutte pour la défense des droits sociaux des travailleurs et des paysans pauvres, la lutte pour les libertés syndicales et démocratiques dans une perspective résolument sociale et la lutte contre les menées du néocolonialisme qui continuait à s’appuyer sur des alliés internes puissants. Parmi les hauts faits de jeune Saoudi Abdelaziz, citons sa participation à la création de l’ORP au lendemain du coup d’Etat du 19 juin 1965 alors qu’il était en prison !  Dès la création du Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS) qui succéda au PCA en 1966, Saoudi Abdelaziz en fit partie. Dans le sillage de la vague répressive qui culmina dans la dissolution de l’UNEA en 1971, Saoudi Abdelaziz fut condamné par contumace à 5 ans de prison et sera contraint à la clandestinité jusqu’à son départ en France en 1984, ce qui ne l’a pas empêché de continuer à diriger les activités du PAGS dans l’Algérois et notamment le secteur des jeunes et des étudiants.

L’héritage intellectuel de Saoudi Abdelaziz sur lequel j’aimerais attirer l’attention des jeunes militants algériens est riche et complexe, à l’image de la situation à laquelle nous sommes confrontés dans notre pays depuis des décennies. Le système auquel nous faisons face est tout simplement exécrable si on devait le juger à l’aune des sacrifices de notre peuple et de ses aspirations légitimes au progrès et à la justice sociale. Mais ce même système, parce qu’il comprend aussi en son sein des hommes et des femmes de bonne volonté engendrés par notre peuple durant des décennies de gestation révolutionnaire, continue malgré tout à préserver le caractère républicain et social de l’Etat algérien non sans dérives autoritaires et paternalistes et à résister -fût-ce de manière inconséquente- à l’impérialisme, au néocolonialisme et à la réaction arabe. C’est ce qui rend le combat des militants de gauche algériens si complexe. Il faut lutter pour les droits sociaux et démocratiques contre l’autoritarisme et la répression mais il faut faire attention à ne pas faciliter le travail de sape des puissances impérialistes et des pétromonarchies réactionnaires qui s’appuient sur des vecteurs sociaux et politiques internes différents dans leur discours mais complémentaires dans leur action destructrice (islamistes d’un côté et berbéristes de l’autre).

Malgré des réalisations et des acquis indéniables, le système bureaucratique et rentier en place en Algérie est devenu une menace pour l’Etat-nation algérien lui-même et donc pour la société dans son ensemble par sa politique autoritaire qui a fini par engendrer un désert politique terrifiant qui rend facile le travail des courants réactionnaires autodestructeurs au sein d’une jeunesse livrée à une dépolitisation inquiétante. D’où l’importance vitale de changer de « logiciel politique » pour reprendre la belle expression de Saoudi Abdelaziz. Ce dernier a été parmi les rares intellectuels révolutionnaires algériens à poser ce diagnostic pertinent : la gestion d’un pays aussi grand que l’Algérie, dans le nouveau contexte de la globalisation économique et médiatique, par la police politique s’apparente de plus en plus à un suicide. Mais en soutenant une telle position courageuse au moment où de pans entiers de la gauche algérienne affichaient fièrement leur statut de concubines du général Toufik et de ses sbires, Saoudi Abdelaziz n’est pas tombé dans le travers des courants qui s’attaquent à l’armée algérienne sans autre forme de procès. Son appel à la fondation d’un pacte républicain entre le peuple et l’armée lors de la crise de juin 1991 en témoigne même si cette prise de position, juste en principe devait être nuancée et modelée en tenant compte des luttes au sein de la hiérarchie militaire elle-même entre les courants patriotiques et anti-impérialistes d’un côté et les courants tentés par une alliance avec les cercles atlantistes américains et français de l’autre.

Les convictions progressistes solidement enracinées dans son engagement communiste ont très tôt permis à Saoudi Abdelaziz de prendre conscience de la menace que constituent les courants intégristes réactionnaires qui ont su exploiter le déficit de légitimité du pouvoir et du FLN et le désarroi de la jeunesse algérienne. C’est ce qui explique la position de boycott des élections de 1990 et de 1991 qu’il a défendue contre la nouvelle direction du PAGS. Cependant, cette position respectable n’a jamais conduit Saoudi Abdelaziz à la diabolisation de l’islamisme en général comme l’a fait la direction du PAGS. Pour Saoudi Abdelaziz le combat contre les islamistes est avant tout un combat politique qui doit être mené sur les terrains social, culturel et politique et non par la répression et l’alliance avec les secteurs les plus anti-populaires au sein de la hiérarchie militaire qui ont instrumentalisé la lutte antiterroriste pour prendre le contrôle de l’Etat algérien, imposer une chape de plomb sur la société algérienne et faciliter la prise de contrôle de pans entiers de l’économie nationale par une bourgeoisie parasitaire dans le cadre des privatisations sauvages dictées par les institutions monétaires internationales dans les années 90.

Au lendemain de l’auto-dissolution du PAGS en 1993 dans le cadre d’un deal avec les chefs de l’ex-DRS et des généraux « éradicateurs », qui a transformé l’ancien appareil du PAGS sous la direction de de Hachemi Chérif en un bataillon de supplétifs au service de la contre-révolution libérale sous le masque de la lutte contre l’intégrisme, Saoudi Abdelaziz, de son exil en France, ne désarma pas et continua à lutter pour ses idéaux communistes sans se compromettre avec le pouvoir mis en place au lendemain de l’annulation du processus électoral le 11 janvier 1992.

Loin du faux clivage mis en avant par les supplétifs du pouvoir -modernisme contre islamisme- pour diviser le mouvement populaire et scinder la société, Saoudi Abdelaziz est resté accroché aux seuls critères qui vaillent dans la situation de l’Algérie et qui constituent de fait les trois dimensions essentielles de la lutte populaire = la lutte pour les droits sociaux, la lutte pour les droits démocratiques et la lutte pour la défense de l’indépendance et de la souveraineté nationales. Tout en restant ouvert à une alliance démocratique-populaire-anti-impérialiste- des forces engagées sur ces trois terrains, Saoudi Abdelaziz n’en a pas moins réaffirmé la nécessité d’un parti d’avant-garde socialiste sur la base d’un programme anticapitaliste et anti-impérialiste sans concession. A cet égard, Saoudi Abdelaziz fut une étoile qui a contribué à éclairer la sombre nuit d’une gauche algérienne à la dérive. Cette étoile vient de s’éteindre mais les éclats de lumière qui ont permis à tant de militants de continuer leur chemin dans la nuit inspireront d’autres étoiles présentes et futures. En attendant que la nuit recule et que le soleil brille une nouvelle fois sur notre chère Algérie et sur le monde.

Mohamed Tahar Bensaada

Bruxelles, le 25 novembre 2022.

Pour contacter l’auteur : mtbensaada@hotmail.com