Un rapport alarmiste prévoit des millions de harragas algériens
Les rapports alarmistes sur l’Algérie se multiplient à un moment où l’Etat algérien doit faire face aux défis de la refondation politique et économique promise au lendemain de l’élection du président Tebboune dans un contexte marqué par les retombées de la pandémie du Covid 19 et de la crise pétrolière. Un site connu pour sa proximité avec la communauté du renseignement marocain vient de se faire l’écho d’un rapport qui aurait été confectionné par les services français à l’attention du Quai d’Orsay l’année dernière. Le site affirme que « La récente tragédie des Harragas algériens, les migrants clandestins, qui ont débarqué massivement sur les côtes espagnoles a relancé de nouveau la polémique sur le risque migratoire algérien sur l’Europe. Un risque concret et démontré dans un rapport secret établi par le Quai d’Orsay en 2019 lorsque des analystes français ont planché sur les dangers encourus par la France et l’Union Européenne au cas où l’Algérie s’effondrerait dans une profonde crise politique et sécuritaire.Ce rapport indique clairement que l’Algérie sera une véritable drame migratoire pour l’Europe notamment les pays du sud de l’Union européenne notamment la France et l’Espagne. Et pour cause, pas moins de 15 millions d’Algériens pourraient débarquer en Europe pour fuir l’Algérie si celle-ci est ravagée par des turbulences politiques et sécuritaires. » La conclusion du rapport est édifiante : « Si l’Europe a été traumatisée par la crise syrienne, elle risque de s’évanouir tout bonnement face à une malheureuse tragédie algérienne. La survie de l’Algérie est donc un élément indispensable à la stabilité de l’Europe, conclut ce rapport secret. »
Que peut-on tirer de cet rapport alarmiste ? Si l’inquiétude des services secrets français en 2019 à un moment où le bras de fer engagé entre le pouvoir algérien et le Hirak populaire pouvait faire craindre le pire était légitime jusqu’à un certain point, les observateurs qui suivent de près la situation politique et sécuritaire estiment que le rapport français n’est pas dénué d’exagération et comme d’habitude les analystes français ont sans doute été induits en erreur par leurs « sources algériennes » qui ont interêt à noircir le tableau pour forcer la main à leurs parrains français et arracher un plus grand soutien politique et des pressions diplomatiques plus conséquentes sur le pouvoir algérien. Mais au-delà des pronostics alarmistes, les analystes français occultent l’essentiel, à savoir le rôle néfaste joué par la France tout au long de la crise algérienne. En décidant de soutenir les parties les plus intransigeantes au sein du Hirak populaire qui refusaient la main tendue de l’armée algérienne laquelle était soucieuse d’assurer une refondation dans le respect de l’ordre constitutionnel, la France n’a t-elle pas fait le mauvais choix, celui de l’instabilité et du chaos que ses services feignent d’éviter ? Comment peut-on être à la fois pyromane et pompier ?
Certes, depuis quelques semaines, la France semble avoir mis un peu d’eau dans son vin puisqu’aux dernières nouvelles, les « amis » de la France au sein du Hirak se sont assagis en diminuant leur virulence à l’égard du pouvoir algérien et en la retournant contre leurs alliés de la veille, les islamistes de Rachad et des frères musulmans du MSP, accusés de rouler pour la Turquie et le Qatar. La stabilité de l’Algérie, si essentielle pour la stabilité de l’Europe comme le reconnaît le rapport français, va-t-elle guider dorénavant la diplomatie française ? Le soutien aux réformes politiques et économiques engagées en Algérie se fera-t-il à l’avenir dans le respect de la légalité et de la stabilité des institutions de l’Etat algérien ? Si, en ce qui concerne la politique française, la prudence doit être de mise en attendant de voir dans quelle direction vont évoluer les relations entre les deux pays après la nomination d’un nouvel ambassadeur, une chose reste sûre : La stabilité de l’Algérie dépendra avant tout du sérieux avec lequel le pouvoir algérien va s’engager dans la mise en oeuvre des réformes promises. Bien entendu, le président Tebboune n’est là que depuis sept mois. Par ailleurs, la conjoncture particulière de la pandémie du Covid 19 et les résistances au changement des caciques du système expliquent sans doute les retards et les tergiversations constatés. Mais les exigences de prudence et de stabilité ne peuvent justifier le retour aux affaires de certains responsables civils et militaires proches des clans qui ont pris en otage l’Etat algérien durant trois décennies. Sur les réseaux sociaux, les jeunes internautes algériens ne cachent pas leur inquiétude et leur déception. Le pouvoir algérien aurait tort d’ignorer ces appels en faveur d’une véritable rupture avec le système bureaucratico-rentier qui a ruiné le pays.
Mohamed Merabet