Un Hirak populaire de plus en plus divisé

Plusieurs milliers de manifestants ont encore battu le pavé, en ce dernier vendredi de Ramadhan, à Alger, réclamant le départ des symboles de l’ancien système et appelant à la protection des libertés fondamentales des citoyens. Les manifestants ont voulu marquer cette 15ème mobilisation consécutive par de grandes marches au niveau des principales artères de la capitale pour réaffirmer leur détermination à continuer leur lutte pacifique, jusqu’à la satisfaction de leurs principales revendications qui sont, entre autres, le changement du système et le rejet de l’élection présidentielle du 4 juillet prochain. Dès le matin, les citoyens, comme à leur habitude, se sont donnés rendez-vous au niveau de la Place du 1er-mai, la Place Maurice-Audin et la Grande Poste où, brandissant, pour la plupart, l’emblème national, et entonnant des chants patriotiques, ont réitéré des slogans en faveur d' »une période de transition » devant permettre l' »instauration d’un Etat de droit ». « Djeich, chaab, khawa khawa » (Armée et peuple sont frères), « Silmya, silmya » (Pacifique, pacifique) ou encore « Djazair hora, dimocratia » (Algérie libre et démocratique) » figurent également parmi les slogans scandés par les citoyens, dont une partie d’entre eux s’est dirigée vers la Place des Martyrs, devenue, depuis vendredi dernier, un des lieux de rassemblement des manifestants.

Après la prière hebdomadaire de vendredi (vers 14h00), ces manifestants sont rejoints par des centaines d’autres, pour sillonner les artères de la capitale aux cris de « Makanch el hiwar maa el Issaba » (non au dialogue avec la bande qui a dilapidé les deniers publics), tout en appelant à ouvrir le dialogue avec les parties et personnalités « sincères et honnêtes ». D’autres slogans ont été entonnés par les manifestants revendiquant « une justice libre et indépendante » et « l’application de l’article 7 et 8 » de la Constitution, tout en exigeant « la poursuite d’enquêtes judiciaires contre les hommes d’affaires et les anciens responsables politiques impliqués dans des affaires de corruption et de dilapidation de deniers publics ». Si le mouvement continue d’être marqué par un caractère pacifique remarquable, il est à déplorer la présence de provocateurs appartenant à des groupuscules politiques connus dont le but est d’attirer l’attention des médias étrangers. A cet égard, une trentaine de personnes ont été interpellées par mesure préventive afin d’éviter tout affrontement avec les forces de l’ordre chargées de préserver la sécurité et la quiétude des participants à ces marches pacifiques, ces personnes sont généralement relâchées une fois la marche terminée.

Mais ce qui frappe l’attention des observateurs à l’occasion de cette quinzième mobilisation, c’est l’extrême diversité du Hirak si on compare ce qui se passe dans la capitale et ce qui se passe à l’intérieur du pays. Le hirak populaire qui était déjà diversifié au départ est en train d’évoluer de plus en plus pour donner lieu pratiquement à deux mouvements distincts : un premier mouvement d’essence démocratique et populaire notamment à l’intérieur du pays qui revendique le changement dans le cadre de l’esprit du 1er novembre et un autre infiltré par des forces au service de l’ « Etat profond » avec des slogans douteux et qui est surtout fort dans la capitale grâce à l’importation de manifestants en provenance de wilayas voisines et à sa forte présence dans certaines facultés de l’université d’Alger.Ceci dit, même dans la capitale, le mouvement apparaît comme divisé entre plusieurs tendances. L’association des victimes du terrorisme connue pour ses liens avec le camp des « éradicateurs » manifestait non loin de l’association des familles des disparus proche de l’ex-FIS dissous et dont les membres ont lancé des slogans contre le général à la retraite Khaled Nezzar. Le 15eme vendredi a coïncidé avec la célébration de la journée mondiale pour El Qods et il était naturel qu’à cette occasion, les drapeaux palestiniens et des pancartes soulignant la solidarité avec la cause palestinienne soient présents en force, ce qui n’a pas été du goût des berbéristes qui manifestentn régulièrement avec un drapeau créé par le sioniste français Jacques Benet. Cette division est également de plus en plus perceptible sur les réseaux sociaux où on constate ces dernières semaines une intensification de la bataille politico-médiatique entre les forces nationalistes et islamistes d’un côté et les forces pseudo-démocratiques et berbéristes de l’autre. Ces dernières sont certes minoritaires mais elles comptent sur le soutien des réseaux de l’ex-DRS dissous et de leurs alliés au sein de l’Administration, des hommes d’affaires et des médias privés sans parler bien-sûr des cercles néocolonialistes français et des ONG à leur solde qui ont des agents infiltrés au sein du Hirak depuis le début.

Mohamed Merabet