Analyse : les questions posées par la candidature de Bouteflika
Même si elle ne constitue pas une surprise, la candidature du président Bouteflika pour un cinquième mandat ne laisse pas indifférents les observateurs et les analystes qui suivent de près la situation politique algérienne. Cette candidature risque de poser des questions tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays tant la santé du président Bouteflika ne paraissait pas militer en faveur d’un cinquième mandat. Qu’est-ce qui a motivé cette candidature ? Quelles seront les répercussions d’un probable cinquième mandat sur le fonctionnement du système algérien et sur les relations de l’Algérie avec ses partenaires étrangers ? Pour mieux comprendre les enjeux posés par cette candidature, nous avons interrogé Mohamed Tahar Bensaada de l’Institut Frantz Fanon.
Quelle est votre réaction à l’annonce officielle de la candidature du président Bouteflika ?
L’option du cinquième mandat qui pouvait paraître surréaliste il y a quelques mois au vu de l’état de santé du président Bouteflika semble aujourd’hui un choix de raison aux yeux des décideurs soucieux avant tout de stabilité. En fait, ce choix est avant tout un choix par défaut. Si les décideurs se sont entendus sur une candidature aussi surréaliste, c’est qu’ils n’avaient pas d’autre solution de rechange consensuelle. A un certain moment, la candidature d’un homme comme Abdelmalek Sellal pouvait sans problème rencontrer l’aval des différents pôles de pouvoir. Mais c’était risqué au regard des différents scénarios induits par l’intrusion de nouveaux acteurs internes et/ou externes qui peuvent lancer dans la course un candidat surprise susceptible de déstabiliser le système.
Vous pensez à un candidat comme Ali Ghediri par exemple ?
La candidature de Ali Ghediri est un bon contre-exemple. Voilà un candidat inconnu des Algériens il y a quelques semaines, qui se permet de concentrer sur sa candidature tous les projecteurs de l’actualité, le soutien du microcosme algérois, des lobbies politiques et financiers puissants. Il y a de quoi se poser des questions. Comment un ancien général qui a servi docilement le système durant toute sa carrière a-t-il pu gagner aussi vite la sympathie de lobbies connus précisément pour leur haine du système et de l’armée ? Comment un homme qui n’a aucune base sociale ou politique peut-il demain, s’il est élu, se défaire des sponsors politiques, médiatiques et financiers encombrants qui l’ont pris en otage depuis qu’il a déclaré publiquement son intention de se porter candidat à l’élection présidentielle ? Mais j’imagine que ce qui inspire des craintes légitimes au sommet de l’Etat, ce sont les connexions supposées de ce candidat et des forces qui le soutiennent avec des centres d’intérêts à l’étranger. Il faut ajouter à cela le fait que la candidature de Ali Ghediri a été encouragée par certaines forces soucieuses de prévenir une éventuelle candidature du chef d’état-major de l’armée.
Avec la candidature du président Bouteflika, va-t-on assister à une élection fermée ?
Oui malheureusement. La perspective d’un cinquième mandat- aussi surréaliste soit-elle- est en marche. Le président Bouteflika ne se serait pas présenté sans l’aval de l’armée et des services de sécurité. Avec le soutien de l’Administration et des machines électorales du FLN, du RND et des organisations patronales et syndicales, je ne vois pas comment un autre candidat pourra lui barrer la route le 18 avril prochain. Le taux d’abstention risque d’être plus élevé que d’habitude mais cela ne devrait pas disqualifier pour autant l’élection présidentielle.
Un cinquième mandat dans les conditions actuelles ne risque-t-il pas d’affaiblir l’Etat algérien ?
La question mérite d’être posée effectivement. Mais il faut relativiser tout cela. Le président Bouteflika est certes diminué. Mais ce n’est pas tant l’image d’un président diminué que d’autres facteurs autrement plus décisifs qui contribuent à l’affaiblissement de l’autorité de l’Etat algérien comme par exemple la corruption, la bureaucratie, l’absence d’une Justice indépendante, les abus des services de sécurité, le clientélisme et le régionalisme, les ingérences étrangères plus ou mois sournoises, etc. Sur un autre plan, il faut savoir que même si elle est incarnée par la personne du président, la présidence de la république est avant tout une institution qui ne travaille pas seule mais avec d’autres institutions. Ces dernières fonctionnent mal mais elles fonctionnent. Il ne faut pas confondre pouvoir et Etat. Le fonctionnement de ce dernier a besoin d’être amélioré par l’implémentation d’une nouvelle gouvernance à la hauteur des aspirations populaires et qui soit basée sur le respect du droit et l‘implication des compétences à tous les niveaux. La question qu’il faut se poser est comment peut-on atteindre cette nouvelle gouvernance en l’absence de contre-pouvoirs efficaces qui émanent effectivement de la société civile algérienne dans toute sa diversité et sa profondeur ? Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le pouvoir algérien n’est pas monolithique. Il y a un équilibre entre différents pôles de pouvoir qui savent qu’il y a des lignes rouges à ne pas dépasser et ces lignes rouges touchent aussi bien des questions stratégiques et diplomatiques que des questions politiques, économiques et sociales. Les puissances étrangères qui traitent avec l’Algérie savent tout cela. Elles cherchent à défendre tout naturellement leurs intérêts et la chose qui leur importe par-dessus tout dans la conjoncture actuelle c’est la stabilité de l’Algérie dans la mesure où toute déstabilisation chez nous pourrait avoir des répercussions régionales graves. Même si certains cercles néocolonialistes français et leurs supplétifs algériens continuent de caresser le rêve de voir l’instauration d’une « seconde république » en Algérie qui serait plus ou moins inféodée à la France, les puissances occidentales sont assez réalistes pour se contenter des rentes de position qu’elles possèdent actuellement en Algérie.