Le pouvoir compte sur les indépendants pour avoir un parlement à ses ordres
Le nombre élevé de listes d’indépendants en lice pour les élections législatives du 12 juin 2021 par rapport aux listes partisanes laisse entrevoir un paysage politique qui ne sera plus dominé par les partis comme ce fut le cas des années durant mais par de nouveaux acteurs, peut-on lire dans une dépêche de l’APS. Avec le dépôt de 1.220 listes d’indépendants et 1.180 listes de partis politiques auprès de l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), des politologues s’attendent à voir émerger les contours d’une nouvelle scène politique avec l’apparition de nouveaux acteurs qui ont fait le choix de se lancer dans la course électorale loin de toute affiliation partisane car, selon eux, les partis politiques ont « perdu de leur crédit ». Un changement qui, de l’avis de ces analystes, devrait se ressentir dans la future composante de l’Assemblée populaire nationale (APN), longtemps dominée par les partis avec une poignée d’indépendants seulement.
Les thuriféraires du régime expliquent ce phénomène en affirmant que les partis politiques ont perdu leur crédibilité au sein de la société algérienne. Dans une déclaration à l’APS, le politiste Mustapha Haddam a estimé que le nombre élevé de listes d’indépendants en lice pour les législatives du 12 juin est la conséquence de la perte de crédibilité des partis politiques, surtout ceux incarnant l’ancien système déchu par le Hirak du 22 février 2019, ajoutant qu’après cette date, ces partis étaient synonymes de « faillite politique ». Selon lui, « une nouvelle tendance se dégage des résultats annoncés par l’ANIE à l’expiration du délai de dépôt des listes de candidature: les citoyens désireux de s’engager en politique ne veulent plus le faire dans le cadre d’un parti ». Autre fait observé, parmi les indépendants en lice se trouvent d’anciens militants de partis d’opposition boycottant ces échéances, a-t-il relevé. Pour le politiste, le second facteur ayant concouru à la forte émergence des listes d’indépendants est l’appel lancé aux jeunes par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, les invitants à participer à la vie politique et à adhérer au processus d’édification de nouvelles institutions crédibles et dignes de confiance.
Mais ce que ces analystes oublient de dire c’est que le pouvoir et ses services de sécurité sont les premiers responsables de cet état de fait par leur ingérence systématique dans les affaires politiques et leurs manipulations incessantes qui ont empêché le développement naturel des partis dans le cadre de leur environnement social. Le pouvoir ne fait que récolter ce qu’il a semé depuis des décennies. Les partis du pouvoir (FLN, RND) sont devenus des coquilles vides, une partie des partis islamistes créés artificiellement à coup de scissions téléguidées d’en haut sont de pales copies des partis du pouvoir et les partis islamistes qui continuent malgré tout de fonctionner de manière autonome sont continuellement harcelés. Les partis soi-disant démocratiques (berbéristes) qui ont toujours bénéficié des largesses des services se retournent aujourd’hui contre le pouvoir, craignant de perdre leurs quotas dans la nouvelle configuration politique. Même si le pouvoir arrive à gagner son pari d’organiser les prochaines élections législatives malgré et contre les tentatives de sabotage des partisans de la « période transitoire », il n’en reste pas moins qu’il ne pourra pas compter sur une majorité politique crédible dans la mesure où les « indépendants » ne pourront jamais remplacer des partis politiques dans la mission qui est la leur. Si le pouvoir était vraiment décidé à aller progressivement vers une véritable démocratisation, il aurait pu commencer par lever toutes les ingérences dans la vie des partis, encourager ceux qui veulent participer à la vie des assemblées élues à adhérer aux partis de leur choix et laisser ainsi les associations de la société civile activer librement dans leurs champs respectifs. Certes, à sa décharge, le pouvoir doit faire face à des tentatives de déstabilisation graves téléguidées de l’extérieur. Mais même en tenant compte de ce paramètre, il n’est pas dit que la fuite en avant bureaucratique soit la meilleure réponse aux partisans du chaos.
Mohamed Merabet