Tripoli cherche à doubler l’Algérie en faisant transiter le gazoduc transsaharien par la Libye

10.10.2022. Alors que le Nigeria, le Niger et l’Algérie sont engagés à concrétiser le projet de gazoduc transsaharien dont la partie algérienne est prête pour une grande partie, le gouvernement de Tripoli, avec le soutien de la Turquie, est entré en jeu avec une nouvelle proposition qui cherche à doubler l’Algérie en faisant passer le gazoduc par la Libye.

Le projet de gazoduc transsaharien devant relier les champs gaziers du Nigeria à l’Europe via le Niger et l’Algérie est en bonne voie de concrétisation depuis que les trois pays se sont entendus pour le conduire à son terme dans les plus brefs délais. Par ailleurs, le Nigeria n’a pas complètement abandonné l’autre projet qui devrait passer par une douzaine de pays africains dont le Maroc puisque un mémorandum d’entente a été signé entre les parties concernées en vue d’étudier la viabilité technique et commerciale du projet qui ne serait pas en tout cas prêt avant 2045-2050. Dans le meilleur des cas, il y aura donc à l’horizon 2050 deux gazoducs reliant le Nigeria à l’Europe. Mais voilà que le gouvernement de Tripoli vient de lancer l’idée d’un nouveau projet de gazoduc qui passerait cette fois-ci par la Libye. Le ministre libyen du Pétrole, Mohamed Aoun, a annoncé lors d’une conférence de presse, le 25 septembre dernier, qu’il a commandité et transmis au gouvernement une étude proposant une option au projet de gazoduc transsaharien prévu pour approvisionner l’Europe en gaz à partir des ressources gazières du Nigeria.

Selon le scénario envisagé par les autorités libyennes, la nouvelle ligne projetée partirait du Nigeria, traverserait le Niger puis la Libye avant de rejoindre l’Europe. Le parcours proposé par le ministre du pétrole libyen serait plus court de 1000 kilomètres comparativement à celui proposé par l’Algérie, ce qui signifie qu’il serait plus rentable. Sauf que ce paramètre ne saurait être seul à déterminer le choix définitif des parties concernées. Sur un plan technique, le gazoduc reliant la Libye à la Sicile a eu une capacité de 10 milliards de mètres cube et la Libye peine à livrer actuellement un maximum de 3 à 4 milliards de m3. Pour faire transiter les 30 milliards de m3 de gaz nigérian, la Libye devrait engager des investissements énormes.

Par ailleurs, le contexte politique et sécuritaire ne permet guère de réaliser un projet aussi ambitieux. Le contrôle de la rente énergétique constitue précisément un des enjeux majeurs du conflit qui oppose les différentes factions qui se disputent le pouvoir. Sur un autre plan, la présence des groupes djihadistes dans le sud libyen n’est pas pour encourager les investisseurs potentiels. A cela il faut ajouter le fait que l’Europe ne sera pas très chaude à l’idée de mettre ente les mains de la Turquie (qui est derrière la proposition libyenne) son approvisionnement en gaz nigérian et libyen. Même si elle n’a aucune chance de se réaliser dans les conditions actuelles, la proposition du gouvernement de Tripoli ne manquera pas d’être accueillie comme il se doit à Alger.

Mustapha Senhadji