L’Algérie, notre épée de Damoclès Par Nicolas Bouzou
La révolution des énergies conventionnelles est commencée et ses conséquences pourraient nous surprendre dès cette année, notamment sous la forme de nouvelles vagues migratoires. En 2014, les Etats-Unis sont devenus le principal pays producteur de gaz (devant la Russie) et de pétrole (devant l’Arabie saoudite). L’affaire a pris une ampleur nouvelle fin 2015, quand le Congrès américain a levé l’interdiction de l’exportation du pétrole. Quant au gaz de schiste américain, il vogue déjà sur l’Atlantique sous forme liquide avant d’être regazéifié en Europe. La principale victime de ce basculement économique, l’Opep, a cru qu’elle pouvait tuer les producteurs de pétrole américains en maintenant sa production à un niveau élevé. Cette stratégie s’est violemment retournée contre elle : les progrès techniques réalisés par les puits américains ont permis de diminuer leur seuil de rentabilité. Ainsi, l’Opep a contribué à déprimer les cours et à saper les économies de ses pays membres, au premier rang desquelles l’économie saoudienne. L’Iran se trouve dans une situation moins grave dans la mesure où il va bénéficier dès cette année de la levée des sanctions prévue par l’accord de Vienne sur le nucléaire.
Mais, si l’on se soucie des intérêts français, il est un autre Etat qu’on ferait bien de surveiller : l’Algérie. Notre magnifique voisin risque de s’effondrer pour des raisons tout à la fois économiques et politiques. Pourtant, presque personne ne scrute ce pays proche de 40 millions d’habitants (dont l’âge médian est de 28 ans), dans lequel la sécurité est toute relative. L’Algérie est notre principal pays d’exportations dans le monde arabe. Nos entreprises lui vendent d’importantes quantités de céréales, de voitures et de médicaments. Le drame de l’Algérie, c’est que les gouvernements de l’après-décolonisation, guidés d’abord par le socialisme de Boumediene puis par le simple populisme, ont été incapables de laisser l’économie se diversifier (ou ne l’ont pas voulu). Aujourd’hui, 97 % des recettes d’exportation et 60 % des recettes budgétaires sont liées au pétrole. En raison de la baisse des cours, le déficit budgétaire a explosé à plus de 10 % du PIB en 2015 (30 % si l’on retire la fiscalité sur l’énergie). Le chômage touche déjà 11 % de la population active, sans parler de la frange de la population qui vivote grâce aux aides sociales que l’Etat ne pourra bientôt plus financer. Mais il y a plus : 2016 pourrait marquer le début du délitement de l’Etat. La fragile nation algérienne, sans cesse sous la menace islamiste, repose sur trois piliers précaires et parfois incohérents : la présidence de la République, occupée par un Bouteflika de plus en plus fantoche, une armée de gérontocrates flanquée de ses services de renseignements et une opinion publique désabusée dont une grande partie rêve de la France.
Comment le reprocher à nos amis algériens ? En outre, les économistes savent bien que, ces prochaines années, pour renforcer sa croissance et financer son Etat-providence, la France devra renforcer ses flux migratoires. Simplement, cela ne peut pas se faire sous la seule influence de facteurs … exogènes à notre volonté : la chute des prix des hydrocarbures algériens, une crise de succession ou, pis, la conjonction des deux. Or l’intégration des immigrés algériens ne se passe pas comme elle devrait. D’après l’Insee, 26 % des hommes algériens obtiennent un emploi l’année de leur arrivée et seulement 7 % des femmes (données de 2013). Des chiffres catastrophiques. Voilà un argument de plus pour que la France réforme rapidement son marché du travail, libère la construction de logements et clarifie ses valeurs. Car dans ces conditions, Schengen ou pas, les pressions migratoires seront suffisamment fortes pour que nous devions accueillir des milliers d’Algériens supplémentaires. A nous et à eux d’être à la hauteur pour que cela se déroule sans drame.
Source : Le Point 21/01/2016