In Memoriam L’anti-islamisme n’est pas la vocation de la gauche progressiste
Par Saoudi Abdelaziz
Dans notre pays, le courant de gauche est historiquement alimenté par les grandes options sociales égalitaires qui ont préparé puis dominé la lutte de libération nationale.
Mentalité égalitaire
Devenue une quasi-mentalité, cet ancrage égalitaire constitue aujourd’hui l’obstacle principal aux coups de force à l’égyptienne que préparent les néolibéraux et les conglomérats algériens. Cet ancrage têtu est la principale spécificité du peuple algérien.
C’est ce spectre plébéien millénaire qui hante ceux des décideurs tentés de plonger dans la religion de l’inégalité sociale naturelle. Religion qu’ils partagent avec l’ensemble des décideurs néolibéraux du monde musulman, surtout là où le pouvoir se revendique de l’islamisme.
Nulle part où l’islamisme fait la loi, les préceptes de justice sociale n’ont été appliqués par les Etats. En terme d’inégalité sociale, les néolibéraux islamistes font aussi bien, sinon mieux que leurs congénères laïques.
En Algérie, la gauche historique est d’abord une gauche sociale.
Dans les années 60 et 70, les marxistes du Pags ont joué un rôle actif pour organiser les luttes sociales et syndicales de masse, s’exprimant en dehors du contrôle du pouvoir. Lequel n’avait pas encore achevé sa mutation en système, avec la construction progressive du redoutable appareil de contrôle social qui deviendra le DRS, « colonne vertébrale du système ».
Les Pagsiste ont aussi contribué à la constitution d’un solide et vivant corpus argumentaire en faveur d’un développement économique indépendant. Cet acquis conceptuel contribue encore à nourrir la recherche des voies et moyens pour sortir de l’impasse néolibérale actuelle.
Dans les années 60 et 70, les pagsistes furent aussi, aux côtés d’autres courants de gauche, les ferments des nouvelles luttes démocratiques et anti-autoritaires dans les syndicats, le mouvement étudiant et celui de l’émancipation féminine.
Ce combat démocratique contre l’autoritarisme, qui a posé au lendemain de l’indépendance les bases de l’avenir démocratique de la société algérienne, a été payé à prix fort par les militants du Pags. Personnellement, j’ai été emprisonné pendant un an et demi en 1965-1966, puis, après une condamnation par contumace du tribunal militaire de Blida en 1971, contraint de militer clandestinement pendant douze années à Alger, dont je dirigeais la fédération du Pags.
A la fin des années 80, le Pags n’a pas survécu à la conjugaison de trois facteurs:
1-la perte de crédibilité mondiale de « l’option socialiste » et des partis communistes avec la liquidation du « camps socialiste » et l’énorme tsunami libéral qui en a résulté (et qui reflue depuis, après avoir ravagé la vie des êtres humains)
2-les reconversions sociales à grande échelle dans les élites instruites, y compris celles influencées par le Pags, en liaison avec l’infitah néolibéral amorcé dans notre pays au début des années 80;
3-Et, sur cette double toile de fond, la subversion accélérée au sein du Pags menée par les infiltrés et les retournés des services secrets.
C’est sans doute parmi ces gens-là, devenus très visibles après la liquidation du Pags, que M. Saadoune s’inspire pour son éditorial du Quotidien d’Oran, où il écrit ce matin: « Il y a, plus gravement, un renoncement à un combat sur le terrain politique qui rend les élites de la gauche plus enclines à défendre les systèmes autoritaires que les processus démocratiques ».
Héritage irréductible
Après les évènements d’octobre 1988, le Pags étant déjà quasiment vidé de son contenu social, la voie était grande ouverte aux islamistes dans ce domaine décisif qui conditionne l’ancrage politique.
Autre facette de cette disparition du Pags: l’émergence médiatique de groupuscules manipulés par les services secrets pour réaliser une captation « laïciste » du Pags. Ils se sont heurtés au spectre de l’héritage social irréductible du parti défunt, dont les adhérents ont opté massivement pour le repli hors de la sphère publique et pour un profil bas vigilant.
L’anti-islamisme n’est pas une création de la gauche. Nous assistons aujourd’hui en Algérie, à partir des mêmes groupuscules réduits comme peau de chagrin, au remake poussif des diatribes de la « belle époque » des années 90.
En ces temps là l’anticlérical-DRS affrontait le clérical-djihadiste tout aussi DRS dans une fitna ultra médiatisée par la presse « indépendante » et par les officines du Djihad contrôlé.
La réactivation actuelle est sans doute directement liée aux luttes autour de la succession de Bouteflika. Elle ne réussira pas, comme elle a réussi à le faire à la fin des années 80, à empêcher le peuple de peser sur cette succession par l’affirmation de ses propre intérêts socioéconomiques. Elle n’empêchera pas les secteurs de gauche de continuer à bâtir patiemment, en prise sur les luttes sociales, les bases de leur renouveau politique, puis de leur union.
Algerie Infos 18 juillet 2013