Le sénat français se penche sur les enseignements de la guerre en Ukraine

12.11.2022. Auditionné le 2 novembre dernier par la commission des Affaire étrangères du Sénat, Michel Goya, ancien colonel de la marine et spécialiste des questions militaires, a tenté d’expliquer les causes des difficultés rencontrées par l’armée russe en Ukraine et de tirer les enseignements de cette guerre pour les armées européennes et pour l’armée française en particulier.

Pour le spécialiste français, les difficultés de l’armée russe sont directement liées au modèle que cette armée a développé depuis des années même s’il n’ignore pas le rôle joué par le soutien logistique et militaire accordé par les puissances occidentales à l’armée ukrainienne. « L’armée russe, longtemps présentée comme l’une des plus puissantes du monde, s’est développée ces dernières années suivant un modèle qui s’est finalement révélé inadapté aux exigences d’une opération d’envergure. Obnubilée par la puissance américaine après la chute de l’URSS, la Russie a voulu se doter d’un modèle d’armée de riches sans en avoir les moyens. À vouloir être au maximum partout, les Russes n’ont jamais été très bons dans aucun domaine« 

Le spécialiste français pointe du doigt notamment la principale faiblesse russe qui se trouve selon lui être la négligence de l’armée de terre : « Le budget réel de la Défense russe représente seulement deux ou trois fois celui de la France. Les Russes ont fait énormément d’efforts pour moderniser leur marine, leur aviation. Il dispose d’un arsenal antiaérien très puissant. Ils ont développé des catégories de forces spéciales. Mais au bout du compte, l’armée qui se bat en Ukraine, et qui supporte 80 % de l’effort de guerre, c’est l’armée de terre, or, seulement 20 % du budget de la Défense lui a été consacré ». Les conséquences désastreuses d’un tel choix ont été constatées sur le terrain où l’armée russe n’a pu mobiliser que 120 000 hommes auxquels se sont ajoutés 40 000 combattants pro-russes du Donbass, ce qui est très modeste au vu de la superficie du théâtre d’opérations ukrainien alors qu’en face l’armée ukrainienne a pu mobiliser environ 700 000 hommes en comptant notamment sur des réservistes bien formés. « Les brigades territoriales, initialement destinées à tenir le terrain, à faire du harcèlement, sont devenues de véritables unités professionnelles. Elles ont récupéré de l’armement plus lourd, sont devenues des brigades de manœuvre. Ce sont ces unités qui ont permis de doubler les capacités de l’armée ukrainienne, devenue supérieure en nombre et en capacités tactiques à l’armée russe. » note le spécialiste.

L’armée russe n’a pas réussi à compenser ce rapport de forces défavorable par sa supériorité aérienne étant donné l’entrée en service d’une défense aérienne moderne que les Occidentaux ont mis à la disposition de l’armée ukrainienne. Ce qui explique que l’essentiel des bombardements russes soient menés par des drones et des missiles. « Les drones permettent aujourd’hui d’effectuer la quasi-totalité des missions qui, autrefois, étaient celles de l’aviation pilotée : reconnaissances et frappes. Il n’y a que le transport d’individus qu’ils ne peuvent effectuer. » Michel Goya estime à 80 000 le nombre des pertes côté russe, dont 20 000 à 30 000 morts, les autres ayant été blessés ou faits prisonniers. « À partir d’un certain taux de perte, une armée ne progresse plus, elle se décompose. Les unités perdent leur cohésion, vous ne pouvez plus apprendre. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’armée russe se dégrade, elle a un taux de perte considérable, qu’elle ne peut pas absorber », souligne-t-il. Les pertes ukrainiennes, quant à elles, s’élèvent à 40 000 – 50 000 hommes, « à cette différence que l’armée ukrainienne était plus volumineuse et a été capable d’absorber ces pertes, sans que cela ne casse leur montée en puissance. »

En conclusion, le spécialiste français estime que la guerre en Ukraine remet à l’ordre du jour les guerres de haute intensité entre Etats « La confrontation hybride qui a largement dominé ces dernières années, mêlant sanctions, embargos, boycotts, cyberattaques, sabotages, jeux d’influence et jeux diplomatiques, n’empêche pas le retour des combats à grande échelle » d’où l’importance d’en tirer les enseignements. Premier enseignement : « la nécessité d’être capable de remonter en puissance très vite. Ce qui a sauvé l’Ukraine, c’est qu’elle disposait de réservistes et de stocks, héritage de l’immense armée soviétique », insiste Michel Goya. Or, « nous ne disposons pas de réserves, ni humaine, ni matérielle ». Second enseignement : , »l’absence de combats aériens dans le ciel ukrainien remet également en cause l’idée d’une hégémonie qui passerait nécessairement par les airs. «  En effet, pour le spécialiste français « Les Occidentaux ont fondé leur modèle de défense sur l’idée d’une suprématie aérienne. Je pense surtout à celle des Etats-Unis, qui nous a permis de réduire à leur portion congrue notre artillerie sol-air et terrestre. »

A. Boussouf