Sahara Occidental : Le cadre onusien entre décolonisation et realpolitik Par Abdelkader Reguig

29.10.2025. Le problème du Sahara occidental n’est pas insoluble : une solution durable ne peut être trouvée que dans l’application stricte du droit international, par l’organisation d’un référendum d’autodétermination pour le peuple sahraoui.

L’Algérie, gardienne historique du droit à l’autodétermination

Faut-il rappeler que le problème du Sahara occidental n’est pas insoluble ? L’ancien Ministre des Affaires étrangères et ancien Président de la République algérien, Abdelaziz Bouteflika, soulignait que l’Algérie a historiquement défendu les causes de Belize, de Timor, de Brunei, du Suriname et du Sahara occidental. Dès les années 60, l’Algérie a plaidé avec constance auprès des instances internationales, notamment l’ONU, pour le droit à l’autodétermination de ces peuples. Cet engagement s’enracine dans son propre combat de libération et son adhésion à l’esprit de la conférence de Bandung (1955), un acte fondateur pour la Révolution algérienne, où des figures comme Nasser, Nehru et Zhou Enlai avaient défendu sa cause. En retour, l’Algérie a honoré ce principe de solidarité en défendant le Timor oriental jusqu’à son indépendance, étant le premier pays à le reconnaître.

Cette tradition ininterrompue fonde la position Algérienne sur le Sahara occidental : une solution durable ne peut être trouvée que dans l’application stricte du droit international, par l’organisation d’un référendum d’autodétermination pour le peuple sahraoui.

Le fondement juridique onusien et la remise en cause en cours

Le fondement juridique du conflit reste ancré dans le droit à l’autodétermination et le statut de territoire non autonome du Sahara occidental, tel que reconnu par l’ONU. La Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO) a été créée en 1991 par la Résolution 690 du Conseil de sécurité précisément pour organiser cette consultation. Son mandat, renouvelé annuellement, arrive à échéance le 31 octobre 2025, ce qui place le Conseil de sécurité devant un choix crucial.

Cependant, un changement de paradigme est en cours. Un projet de résolution porté par les États-Unis, qui agissent en tant que penholder (rédacteur) du dossier, vise à limiter les négociations au seul plan d’autonomie marocain de 2007. Ce texte est perçu par ses détracteurs, au premier rang desquels l’Algérie, comme une rupture avec la doctrine de décolonisation appliquée depuis des décennies. Le Front Polisario a fermement condamné cette approche, la qualifiant de « dérive grave et sans précédent » par rapport au droit international et a réaffirmé que le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui est « inaliénable, imprescriptible et non négociable ».

Bras de fer diplomatique au Conseil de sécurité

Les divisions au Conseil de sécurité sont profondes et reflètent un affrontement plus large sur la vision de l’ordre international.

Le camp atlantiste : Les États-Unis, suivis par la France et le Royaume-Uni, soutiennent ouvertement l’initiative marocaine et promeuvent une solution basée sur le « réalisme politique ». Leur projet de résolution cherche à déplacer le centre de gravité du processus de paix du cadre multilatéral de l’ONU vers une médiation directe américaine.
Le camp attaché au droit international : La Russie a qualifié le texte américain « d’inacceptable », estimant qu’il déforme les faits historiques et dénature la nature coloniale du conflit. Elle exige une révision du texte pour rétablir les principes fondateurs que sont le droit à l’autodétermination et la reconnaissance du Sahara occidental comme territoire non autonome. La Chine, quant à elle, a traditionnellement adopté une position prudente, priorisant la stabilité et le respect des résolutions onusiennes antérieures.

La Russie et la Chine : un veto comme rempart contre l’hégémonie américaine

Dans ce contexte, la position de la Russie et de la Chine dépasse le seul dossier du Sahara occidental et touche à la préservation d’un ordre international multilatéral face à une influence américaine perçue comme hégémonique.

Les intérêts stratégiques de la Russie : Historiquement alignée sur les positions algériennes, Moscou a entamé un rééquilibrage subtil de sa politique. Elle a signé un accord de pêche avec le Maroc incluant les eaux du Sahara occidental – un geste lourd de sens – et choisit désormais l’abstention plutôt que le veto lors des votes sur la MINURSO, facilitant ainsi l’adoption des résolutions tout en exprimant ses réserves. Cependant, face à un texte américain qui redéfinit unilatéralement les paramètres du conflit, Moscou pourrait estimer que ses intérêts stratégiques – notamment son image de médiateur crédible en Afrique et dans le monde arabe – sont menacés. L’utilisation de son veto deviendrait alors un moyen direct de contrer l’influence américaine et d’affirmer son poids dans la géopolitique moyen-orientale et africaine.
Le calcul pragmatique de la Chine : Pékin n’a jamais reconnu la « RASD » et a opéré un rapprochement notable avec Rabat, dont les échanges commerciaux ont dépassé 8 milliards de dollars en 2023.

La Chine perçoit le Maroc comme un partenaire stable pour ses stratégies en Afrique et en Méditerranée. Toutefois, Pékin a intérêt à prendre position, faute de quoi elle sera très vulnérable quand à États Taïwan, et reste fondamentalement attaché aux principes de non-ingérence et de respect de l’intégrité territoriale des États, une logique liée à ses propres vulnérabilités internes (Tibet, Xinjiang, Taïwan). Une résolution qui enterrerait le processus de décolonisation sous l’impulsion américaine pourrait forcer la Chine à utiliser son veto pour protéger ces principes cardinaux de sa politique étrangère et éviter un précédent dangereux.

Comme l’analyse du Policy Center for the New South le souligne, la stabilité régionale offerte par une solution négociée sert les agendas de la Chine et de la Russie. Mais cette stabilité ne peut, à leurs yeux, être imposée unilatéralement par Washington. Le veto est l’outil ultime dont ils disposent pour bloquer cette route et rappeler que le Conseil de sécurité n’est pas une chambre d’enregistrement des volontés américaines.

Conclusion : Un moment décisif pour l’ordre international

L’examen du mandat de la MINURSO fin octobre 2025 représente bien plus qu’un renouvellement technique. C’est une bataille de narratifs sur la validité du droit international face au réalisme politique. C’est aussi un test décisif pour la capacité de la Russie et de la Chine à s’opposer à l’unilatéralisme américain.

En s’abstenant, Moscou et Pékin laisseraient le champ libre aux États-Unis pour devenir les « maîtres du jeu » dans ce dossier et, par extension, renforcer leur mainmise sur l’architecture sécuritaire mondiale. En opposant leur veto, elles enverraient un message clair : le Conseil de sécurité reste le lieu où les puissances contestent l’hégémonie et où le droit à l’autodétermination, aussi imparfaitement appliqué soit-il, ne peut être purement et simplement rayé d’un trait de plume.

Contact: orarexe@gmail.com

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