Autonomie imposée : peut-on demander à un peuple de choisir la forme de sa guillotine? Par Mohamed Reda Ellili
23.10.2025. Certaines capitales influentes, Washington en tête, menacent de pousser le Conseil de Sécurité à adopter une recommandation qui obligerait les deux parties au conflit – le Front Polisario et le Maroc – à négocier sur la base de ce qu’il est convenu d’appeler « l’initiative marocaine d’autonomie », la considérant comme le seul cadre pour la décolonisation du Sahara Occidental.
Cette démarche constitue un précédent juridique et politique dangereux, car elle tente de fermer l’horizon de l’autodétermination et de modifier la règle de fin de la colonisation d’un trait de plume, sans consulter le peuple concerné.
C’est une manœuvre manifeste visant à permettre au régime marocain de réaliser ses rêves expansionnistes et d’accomplir ce qu’il n’a pas pu imposer par la force des armes au cours des cinq dernières décennies. Une telle recommandation légitimerait l’occupation, récompenserait l’agression et constituerait une violation flagrante de la Charte des Nations Unies et du Droit international, en plus de bafouer la légitimité internationale.
Le Conseil de Sécurité ne peut pas entériner l’autonomie comme base sérieuse pour les négociations, ni appeler les parties à des arrangements qui ne mènent pas à une véritable autodétermination pour le peuple sahraoui. Le Conseil, malgré son vaste mandat de maintien de la paix et de la sécurité internationales, n’a pas l’autorité de réécrire la Charte des Nations Unies ou de contourner les règles du Droit international.
L’Article 24(2) de la Charte des Nations Unies établit une contrainte constitutionnelle claire : le Conseil agit « conformément aux buts et principes des Nations Unies ». Au cœur de ces buts se trouve ce que stipule l’Article 1(2) de la Charte : « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». La question n’est donc pas une décision politique, mais une limite légale qui ne peut être franchie.
Transformer « l’autonomie » en un résultat final imposé d’avance, au lieu d’une option proposée dans le cadre du processus d’autodétermination, revient à inverser les valeurs sur lesquelles l’ONU a été fondée, de sorte que les intérêts de certains États deviennent un objectif qui justifie de geler des droits.
Depuis les Résolutions 1514 et 1541 de l’Assemblée Générale, et à travers le processus de décolonisation qui a créé des dizaines d’États modernes, la norme de légitimité est restée constante : un choix libre et réel des habitants du territoire, sous supervision internationale impartiale. Il en fut ainsi en Namibie, au Timor Oriental, en Érythrée, et même au Soudan du Sud.
L’autonomie n’a jamais été proposée comme alternative à ce droit, et l’ONU n’a jamais autorisé qui que ce soit à imposer la capitulation à un peuple jouissant du droit à l’autodétermination.
Toute décision qui adopterait la prétendue « autonomie » comme seule solution enfreint la logique de la décolonisation et met le Conseil de Sécurité en contradiction avec les précédents qui ont établi sa crédibilité. L’avis consultatif de la Cour Internationale de Justice dans l’affaire de la Namibie en 1971 a confirmé que le Conseil est tenu par les buts et principes énoncés dans la Charte, et que le caractère obligatoire de ses résolutions est subordonné au respect de ces limites.
Pour le Sahara Occidental, le seul résultat légitime reste un processus menant à un choix libre du peuple sahraoui : indépendance, union ou tout autre arrangement découlant d’une volonté non contrainte. Quant à circonscrire la discussion à un plafond unique et prédéfini, l’« autonomie sous souveraineté marocaine », ce n’est pas une négociation, mais une demande de reddition. Et en politique comme en morale, il est inconcevable d’amener un peuple à négocier la couleur ou la forme de la corde qui lui sera passée au cou.
Le Front Polisario, selon sa déclaration constitutive et ses statuts, est un mouvement de libération nationale qui mène le combat du peuple sahraoui pour la liberté et l’indépendance. Par conséquent, l’appeler à négocier une option qui annule l’indépendance le place en dehors de sa raison d’être. Il n’a pas le droit de renoncer au droit inaliénable du peuple sahraoui, de même que le Conseil de Sécurité n’a pas le droit de lui imposer d’agir contrairement à l’essence de sa représentation. L’existence même du Front est liée à la décolonisation du Sahara Occidental, et s’il y renonce, il renonce à sa légitimité.
Faire passer une recommandation qui promeut « l’autonomie » comme solution unique pour le Sahara Occidental n’aura pas d’effet limité à cette seule question, mais ouvrira la voie à d’autres parties dans des conflits similaires pour contourner la loi. S’il est possible d’« avancer la légitimité » avant que ses conditions ne soient réunies, à quoi bon les référendums et les arrangements internationaux qui protègent les droits ? Le Conseil de Sécurité ne sera alors plus le gardien des règles, mais le créateur de faits imposés par la force.
Le Conseil n’est pas un législateur supérieur à la Charte. Sa fonction est d’activer ses outils pour préparer un chemin impartial vers l’autodétermination, non de fermer la voie et d’apposer le sceau de la « solution réaliste » à une formule unilatérale. Toute décision qui impose l’autonomie comme option finale dépasse les limites de l’Article 24(2) et contredit ouvertement les buts de l’Article 1(2).
Et si le Conseil de Sécurité persistait et adoptait le projet présenté par le « Groupe des Amis du Maroc », il perdrait le reste de sa crédibilité, et les vers du poète Ahmadou Ould Abdelkader trouveraient leur écho :
En cherchant les droits
nous avons trouvé des mirages séchés
Le Conseil de Sécurité est une tromperie
et les espoirs quant à son utilité se sont évaporés
Sa terre est une forêt
la justice dans le terrain des lions est une illusion
c’est une statue inerte dont l’âme
est offerte au diable en forme de mythes
L’ONU n’a jamais adopté l’autonomie comme alternative à l’exercice du droit à l’autodétermination, et l’imposer comme seule option représenterait un écart sans précédent par rapport aux principes du Droit international et aux pratiques de l’Organisation depuis 1945.
Lorsqu’il s’agit du droit à l’autodétermination, le Conseil de Sécurité n’a pas le luxe de la manœuvre verbale ; soit il protège la Charte qui a établi sa légitimité, soit il est le premier à piétiner le fondement sur lequel le système de paix et de sécurité internationales a été érigé.
La voie pour résoudre la question sahraouie est claire : le Conseil de Sécurité doit soutenir un processus sincère menant à un choix libre qui permette au peuple sahraoui de déterminer son propre destin, et non un arrangement préemballé vendu comme réaliste. »