L’armée russe effectue des frappes contre la capitale ukrainienne avec des drones iraniens
10.10.2022. Les attaques de l’armée russe contre la capitale ukrainienne Kiev et d’autres villes ce lundi 10 octobre, en riposte à la destruction du pont reliant la Russie à la Crimée, ont permis de braquer les projecteurs de l’actualité sur les drones kamikazes iraniens Shahed 136 employés lors de ces attaques. Quelles sont les performances réelles de ces drones qui semblent faire de l’Iran un nouvel acteur majeur dans ce segment, capable de concurrencer éventuellement la Turquie ?
Les médias occidentaux font état de la présence de deux types de drones iraniens sur le théâtre d’opérations ukrainien. Ces drones sont utilisés pour des opérations de reconnaissance, des tirs de missiles ou des largages de bombes. Il y a d’abord le « Shahed 136 », un « drone suicide », aussi appelé « drone kamikaze », à très longue portée (jusqu’à 2 500 km). Malgré son assez grande taille, ce drone de faible coût peut voler à une vitesse de 180 km/h. Il y a ensuite le « Mohajer » qui fut au départ un drone de reconnaissance mais dont la dernière version, le Mohajer 6, est équipée de 2 à 4 munitions. Le Mohajer a été employé en Syrie et en Irak et l’Iran a vendu sa licence de fabrication au Venezuela sous le nom d’Arpia. Le lancement du drone kamikaze Shahed 136 se fait à partir d’un rack contenant 5 drones, installé sur le pont d’un camion. Une installation sommaire qui permet néanmoins déplacements rapides et imprévisibilité. » Il atteint sa cible par coordonnées GPS, entrées avant son décollage. Il évolue ensuite en autonomie, volant assez bas et atteignant une cible qui est nécessairement fixe à quelques centaines de kilomètres », explique Pierre Grasser, chercheur français associé au centre Sirice à Paris, cité par l’AFP. « Beaucoup de leur succès initial viendra du fait que c’est une arme nouvelle sur ce théâtre. Les Ukrainiens vont en capturer, les disséquer et développer des systèmes anti-drones. Avant cela, ils seront efficaces », précise Vikram Mittal, professeur à l’académie militaire américaine de Westpoint.
En effet, même si les Ukrainiens affirment qu’ils ont abattu six drones (sur les douze qui ont effectué un raid sur Kiev), cela signifie que 50% des drones lancés arrivent à toucher leurs cibles fixes. Ces drones, qui constituent un tout nouveau type d’arme de guerre, peuvent se révéler très efficaces « quand l’adversaire ne dispose pas de moyens pour s’en protéger ou riposter », estime le chercheur à l’Institut français de relations internationales (IFRI) Jean-Christophe Noël.. Capables de frapper seulement des cibles fixes, ces engins, qui ont déjà visé des raffineries en Arabie saoudite, pourraient viser des infrastructures critiques en Ukraine, comme des centrales électriques, Les Shahed « sont très difficiles à détecter car ils volent très bas » Leur « principal défaut, c’est qu’ils ne peuvent frapper que des cibles fixes », souligne le chercheur. « Cela ne menace guère les troupes déployées. Cette arrivée de drones ne devrait donc pas changer le cours de la bataille ». « Par ailleurs ils font beaucoup de bruit, comme une tronçonneuse ou un scooter », ce qui fait qu’on les entend de loin. Malgré leur efficacité relative, ces drones permettent à la Russie de « faire des économies et d’épargner ainsi de précieux missiles de croisière, qui coûtent de 1,5 à 2 millions USD », rappelle M. Grasser. Présenté comme le concurrent du Bayraktar TB2 turc, utilisé de son côté par l’armée ukrainienne, le Shahed-136 permet à la Russie de détruire à moindre frais des infrastructures logistiques éloignées du front comme des dépôts de munitions ou des nœuds ferroviaires, sans mettre en danger son aviation. .
Les analystes occidentaux insistent sur le fait que l’emploi de ces drones iraniens serait le signe que la Russie a des problèmes dans le développement de ce segment aéronautique à la fois en raison du manque de personnel dans le secteur et des conséquences des sanctions occidentales qui limitent l’accès de l’industrie de défense russe aux composants électroniques dont elle a besoin. Si les facteurs cités par les analystes occidentaux sont bien réels, il n’en reste pas moins qu’ils ont tendance à occulter la question des choix stratégiques russes qui consistent, dans le cadre de ce qui est appelé une « opération militaire spéciale », à utiliser avec parcimonie le potentiel militaire dont une grande partie est laissée en réserve dans la perspective d’une véritable guerre, à l’instar d’un conflit plus large et plus intense avec les puissances de l’Otan. Quoi qu’il en soit, l’entrée en scène du drone kamikaze Shahed 136 offre des solutions alternatives aux parties qui ne peuvent pas (ou ne veulent pas) accéder aux drones d’attaque turcs. Des sources américaines affirment que des drones Shahed 136 ont été utilisés par les Houthis yéménites et notamment lors de la destruction d’un pétrolier en juillet 2021 au large des côtes d’Oman. L’Iran aurait également attaqué en 2022 le quartier général du mouvement kurde séparatiste Komala retranché dans le Kurdistan irakien à l’aide de drones Shahed 136. Malgré les allégations répétées des médias marocains qui accusent l’Iran d’armer le Front Polisario, rien ne permet pour le moment d’affirmer que ce dernier a l’intention d’acquérir dans un proche avenir des drones Shahed 136.
Abdelkader Boussouf
Pour contacter l’auteur :
abdelkaderboussouf9@gmail.com