Le congès de la Soummam : ses enjeux et ses conséquences Par Afif Haouli

Le congrès de la Soummam (Août 1956) constitue à n’en pas douter un des évènements historiques majeurs de la Révolution Algérienne. Cependant les circonstances politiques qui ont entouré sa réunion ainsi que les décisions qui en ont résulté demeurent un sujet controversé. Si pour certains intellectuels et acteurs politiques, le Congrès de la Soummam apparaît comme l’acte fondateur de l’Etat algérien, pour d’autres, ce congrès a été synonyme d’un tournant historique qui augure de plusieurs déviations idéologiques et politiques à venir. Nous reproduisons ci-dessous la contribution de Afif Haouli qui ne manque ni d’originalité ni de courage politique à une époque marquée malheureusement par la reproduction dans les médias francophones d’un discours pseudo-critique mais qui ne fait dans la réalité que reproduire les stéréotypes néocoloniaux les plus éculés sur la formation de la nation algérienne.

L’assassinat abject d’Abbane Ramdane, non moins odieux que celui de Bennaï Ouali et l’attentat manqué contre Ali Mahsas, décidés tous les deux par le CCE, a occulté chez la plupart des analystes la nature des enjeux du Congrès de la Soummam, les conditions de sa tenue et les effets tragiques de ses décisions. On peut dire sans risque d’erreur que les « analystes » ont focalisé intentionnellement sur la mort d’Abbane pour faire de l’aspect tragique de sa disparition le seul élément prégnant dans un seul but : susciter une attitude de dégoût, de révolte contre les auteurs de son élimination. On sait que lorsque les réactions émotionnelles sont recherchées, c’est qu’on projette d’inhiber les facultés critiques. Et c’est le cas dès qu’il s’agit d’Abbane Ramdane, le tabou ! Dans toutes les contributions (rappelons que les auteurs ne sont pas des historiens), la personnalité d’Abbane Ramdane est surdimensionnée : il est présenté comme un super héros alors qu’il a été mis en minorité absolue dans une instance suprême ! Une année seulement après le « Congrès de la Soummam », sur 23 dirigeants de la révolution présents au CNRA d’août 1957, 21 d’entre eux désavouent « l’architecte de la révolution » ! Malgré les clarifications données suite à la polémique suscitée par les déclarations de Ben Bella sur Al Djazeera en 2003, la mystification continue comme on le constate actuellement dans les réactions qui ont suivi la déclaration de Daho Ould Kablia. Entretemps, des données nouvelles, des témoignages inédits, sont venus clarifier la situation. La présente contribution entre dans ce cadre.

La manipulation du SDECE

La nouveauté qui se dégage de ces témoignages est la manipulation à distance des services secrets de l’ennemi faisant en sorte d’avantager une tendance du FLN contre une autre, dans le cadre du principe du moindre mal. Pour la France officielle, la tendance novembriste nettement arabo-islamisante alliée à l’Egypte (Appel du 1er Novembre lu à la Radio du Caire par Ben Bella) la préoccupait au plus haut point. Aussi, a-t-elle employé tous les moyens pour que cette tendance soit remplacée par une autre tendance plus occidentalisante. Son objectif fut couronné de succès après l’adoption de la Plate-forme de la Soummam (PFS). Au centre de cette politique se trouve précisément Abbane Ramdane, à son insu bien entendu. L’examen des deux documents de la Révolution qui sont juridiquement des actes authentiques, donc une preuve absolue, font ressortir de graves déviations. Soulignons par ailleurs que dans le cadre de cette objectivité, Abbane n’a pas été le seul à signer la PFS.

Les déviations de la plate-forme de la Soummam

Première déviation : alors que la Proclamation du 1er Novembre 1954 (P1N-54) stipule « l’instauration d’un état algérien, souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques », la PFS confirme la formulation mais abroge « les principes islamiques ». Donc, c’est en toute connaissance de cause et intentionnellement, que l’abrogation a été opérée. Ce qui a aggravé ce fait est la condamnation de toute théocratie comme si la mention « dans le cadre des principes islamiques » visait l’instauration d’une théocratie. Si la mention avait été maintenue, la condamnation de la théocratie aurait été comprise dans le sens positif, mais abroger les principes islamiques et condamner la théocratie en même temps, cela fait désordre et prête fortement à suspicion. C’est la raison pour laquelle, cette déviation a été relevée et contestée dès sa prise de connaissance par Ben Bella dans une lettre adressée à Abbane Ramdane début automne 1956, lui demandant de surseoir à la parution de la PFS en attendant son amendement (DOC n°44 page 197 de Mabouk Belhocine).

Deuxième déviation : alors que la P1N-54 stipule « l’unité nord-africaine dans son cadre arabo-islamique », la PFS modifie cette formulation par « la Fédération des états nord-africains », abrogeant intentionnellement  la mention « arabo-islamique ». Cette déviation vient confirmer la suspicion relative à la première déviation. Il est temps d’appeler un chat un chat.

Troisième déviation : la PFS ajoute « la Révolution algérienne n’est inféodée ni à Moscou, ni à Washington, ni au Caire.» En réalité, cette sentence vise essentiellement l’Egypte dans le but évident de la détacher de la Révolution algérienne, et casser cet axe hautement stratégique, sentence qui correspond parfaitement aux visées de l’ennemi colonialiste. Belaïd Abbane lui-même dans une émission à la TV Al Magharibia, a affirmé que la désignation de Lamine Debaghine à la tête de la Délégation Extérieure par Abbane Ramdane (à quel titre ?) avait pour but d’éloigner le FLN de l’Egypte, Ben Bella étant à son goût trop proche de l’Egypte.

Enfin, quatrième et dernière déviation, elle est d’ordre organique et constitue le premier coup d’état de la Révolution algérienne : des dirigeants du 1er Novembre comme Boudiaf Coordinateur du Comité des 6, Ben Bella, Khider et Aït Ahmed membres de la Délégation extérieure, reconnus officiellement par le CNRA d’août 1957 comme ceux qui ont préparé et organisé le 1er Novembre, se sont trouvés exclus de l’exécutif de la Révolution (CCE), sans avoir été entendus sur leur bilan. Cette déviation a été aggravée par l’introduction dans la direction exécutive (CCE) de deux membres n’ayant pas participé au 1er Novembre, en l’occurrence les deux centralistes du PPA, Ben Khedda et Saâd Dahleb.

Ces déviations ont suscité là aussi une vive opposition de Ben Bella à telle enseigne qu’une année après, le CNRA les a corrigées dans le sens novembriste.  Son opposition a été appuyée par la wilaya des Aurès et la Base de l’Est, qui ont pris position sur PV signé par tous les présents lors d’une réunion tenue en décembre 1956. Les conséquences de ces oppositions à la PFS furent tragiques pour leurs auteurs. Ainsi, Ali Mahsas, l’homme de confiance de Ben Bella en Tunisie, a été condamné à mort par le CCE. Réfugié en Allemagne, il fera auparavant l’objet d’un attentat en Suisse et dont l’auteur, Basta Arezki, refusera d’exécuter (cf son livre cité infra). Quant à la W1 et la Base de l’Est, elles feront l’objet d’une purge sanglante (plusieurs officiers seront condamnés à mort et exécutés).

Ainsi, le « Congrès de la Soummam » excepté le mérite de ses décisions relatives à l’aspect organique et institutionnel de la Révolution (FLN/ALN et CNRA), est venu la détourner de son alliance stratégique avec le monde arabo-islamique, principalement l’Egypte au plan du programme (PFS) et des hommes (exclusion de la direction des partisans de l’alliance avec l’Egypte et liquidation physique des cadres intermédiaires). C’est dans le cadre de cette orientation qu’une guerre sans rémission fut déclarée aux messalistes, Messali Hadj étant un représentant patenté de l’arabo-islamisme et la crise berbériste de 1949 n’étant pas encore digérée pour certains.  Il est vrai aussi que les soummamiens ont aussi déclaré la guerre aux berbéristes, limitée cependant aux seuls chefs. Si ces derniers avaient des griefs à relever dans la P1N-54, notamment son orientation arabo-islamique nettement affirmée, il en est tout autrement dans la PFS où toute mention relative à cette orientation a été expurgée. Encore faut-il préciser que la condamnation et l’exécution de trois d’entre eux à savoir Mbarek Aït Menguellet, Amar Ould Hamouda et Aït Salah Mohand Saïd sont intervenues en mars 1956, avant l’adoption de la PFS au mois d’août. Donc, la remarque ne vaut que pour Bennaï Ouali exécuté en février 1957. Par conséquent, sa liquidation reste énigmatique et pourrait avoir comme explication une guerre des chefs, Bennaï étant un sérieux concurrent pour Krim et Abbane : la liquidation de ses camarades quelques mois plus tôt aurait dû l’inciter à s’enfuir en France comme Rachid Ali-Yahia, lui aussi condamné à mort. En tout état de cause, quel que soit le motif de la liquidation des berbéristes, celle-ci est abjecte et condamnable, car elle n’est pas motivée par une collaboration avec l’ennemi, seul mobile valable. Défendre la culture berbère sans être hostile à la culture arabe n’est pas un crime, mais un honneur.

Abbane antithèse de Ben Boulaid et Ben Bella  

Comme on l’a dit précédemment, casser le cordon ombilical qui rattachait la Révolution algérienne à l’Egypte devient l’axe stratégique des services secrets français tout en menant en parallèle une lutte implacable contre le MNA à l’intérieur. C’est ainsi que, pour mettre en œuvre leur politique, ils trouvèrent en Abbane Ramdane l’homme idéal, car doté de deux qualités essentielles : primo, il était l’antithèse idéologique de Messali et de Ben Bella, c’est-à-dire foncièrement opposé au monde arabo-musulman et donc à l’Egypte ; deuxio, ses capacités d’organisateur étaient utiles pour rassembler au sein du FLN tous les ex-intégrationnistes, favorables à l’union avec la France (UDMA, PCA, Oulémas) en plus des centralistes du MTLD, tous foncièrement opposés à la ligne révolutionnaire prônée par Messali. C’est ainsi qu’en janvier 1955, en pleine guerre, Abbane Ramdane bénéficie miraculeusement d’une remise de peine ! Selon Mohamed Harbi, dans son livre « Mirage et Réalité », page 129, je le cite : « le directeur de la prison, qui connaît Abbane de réputation, ne tient pas à fournir aux détenus politiques un organisateur. Il lui accorde une remise de peine et le libère en janvier 1955. »  Ne va-t-il pas utiliser ses capacités d’organisateur à l’extérieur de la prison ? La question est légitime. Même si elle n’avait pas été anticipée, sa libération reste une énigme. Abbane était jugé comme un élément très dangereux par les autorités françaises et logiquement, il aurait dû être maintenu en prison ou bien liquidé à sa sortie comme l’ont été Hamou Boutlélis, responsable de l’OS de l’Oranie, en 1957 ou Zeddour Brahim Belkacem le 6 Novembre 1954. Il est vrai que ces deux cadres du PPA étaient dangereux pour d’autres raisons : en prison, Boutlélis maintenait le contact avec les messalistes et Zeddour était membre de la Délégation extérieure du FLN du Caire, venu en mission quelques mois auparavant avec des documents qu’il devait remettre aux responsables de l’intérieur. Arrêté le 1er Novembre 1954 à Oran, sa ville natale, relâché dans la journée, il apprit à ses proches que la police l’avait questionné sur ses activités en Egypte. Repris le même jour, il n’est plus reparu et est devenu le premier disparu de la Révolution. Quant à Boutlélis, sa libération a été avancée d’une journée pour faciliter son kidnapping devant la porte de la prison puis sa liquidation par la main rouge sans témoins, sa famille ne l’attendait que pour le lendemain. Par conséquent, on ne peut que constater que la France coloniale a été bienveillante envers Abbane libéré avant le terme de sa peine (selon des témoignages non vérifiés, arrêté en avril 1950, il a été condamné à 6 années, il a été donc libéré 16 mois plus tôt).

Cette libération anticipée va faire partie d’un faisceau d’évènements avant et après le Congrès de la Soummam, qui confortent l’idée que derrière ces évènements, il y avait la main des services français à l’insu des dirigeants du FLN. Ce n’est qu’en 1959 qu’un de leurs agents en Tunisie fut démasqué et exécuté. Deux autres, démasqués plus tard, ont pris la fuite vers Alger en passant par l’Ambassade de France en Tunisie (cf livre de Basta Areki « les vérités sur la Révolution algérienne qui n’ont pas été dites »).

Très vite après sa libération, Abbane est devenu l’ennemi acharné des messalistes et de Ben Bella (cf ses tracts et ses correspondances avec la délégation extérieure). Son animosité à l’égard de Ben Bella est allée jusqu’à l’accuser de régionaliste et de désigner indûment alors qu’il n’était qu’un chef de zone (Alger) un nouveau responsable de la Délégation extérieure en la personne de Lamine Debaghine qui, arrivé au Caire, fut intégré à la Délégation extérieure qui l’a accueilli comme simple membre sans aucune autorité.

Quant à Messali Hadj, Abbane, qu’on qualifie généralement de fédérateur, n’a jamais tenté de négocier son intégration au FLN, de lui proposer une fédération ou à la limite de coexister. Par contre, les autres dirigeants du FLN n’étaient pas sur le même registre qu’Abbane. Au début de la Révolution, Krim a maintenu les contacts avec Messali à travers son représentant à Alger. C’est par le biais de ce délégué que Messali a remis des fonds à Krim Belkacem. Au Caire, Ben Bella aida Abdallah Filali, alors en résidence surveillée, à quitter l’Egypte pour transmettre un message à Messali l’invitant à rejoindre l’Egypte. De même et surtout, Ben Boulaïd, arrêté en février 1955, était défendu par l’avocat M° Deschezelles, ami de Messali et constitué par lui. A travers l’avocat, Ben Boulaïd correspondait avec son ancien chef. Celui-ci a tout fait pour lui éviter une condamnation à mort en organisant un comité d’intellectuels français pour sa défense et en mobilisant le MNA dans ce but par des tracts et des manifestations. Il est évident que pour la France, un FLN composé des anciens intégrationnistes (UDMA, PCA, Oulémas) était préférable à un FLN purement révolutionnaire, d’inspiration messaliste. L’acharnement d’Abbane contre Messali entrait parfaitement dans cette stratégie. Ben Boulaïd évadé en novembre 1955, risquait de mettre en échec cette stratégie. Objet d’un attentat à l’explosif en mars 1956, sa mort est vite attribuée au FLN dans un tract MNA paru dans la presse algéroise. En définitive, la mort de Ben Boulaïd quel qu’en soit l’auteur, a permis d’éviter la réconciliation FLN/MNA, de rendre irréversible la sanglante fracture du mouvement d’indépendance nationale au grand bonheur des autorités coloniales.

Un autre fait probant concernant cette stratégie qui a fait de Messali, de l’Egypte nassérienne et de Ben Bella les cibles à détruire, ont été les deux attentats au Caire et un troisième à Tripoli, en avril 1956, tous manqués contre Ben Bella. Le dernier de ces attentats, tous attribués à la Main Rouge, les barbouzes du SDECE, s’est produit un mois après celui de Ben Boulaïd.

La présence de Ben Boulaïd et de Ben Bella au « Congrès de la Soummam » aurait donné un autre cours à la Révolution, notamment en mettant fin à la guerre FLN/MNA compte tenu des relations de Ben Boulaïd avec Messali et du fait aussi que Messali n’a pas cessé de défendre la cause de l’indépendance durant la première année de la Révolution en envoyant un mémorandum à la Conférence de Bandoeng (avril 1955) et un autre à l’ONU (septembre 1955) alors que les partis intégrationnistes n’avaient pas encore rejoint le FLN. Par ailleurs, leur présence auraient permis de renforcer les liens avec l’Egypte et éviter les conséquences tragiques qu’a subies la wilaya des Aurès après l’adoption de la Plate-forme de la Soummam.

 

 

« Oiseau bleu », congrès de la Soummam et cessez-le-feu tacite

Un autre évènement troublant est intervenu à la même période de l’assassinat de Ben Boulaïd et la tentative avortée contre Ben Bella : il s’agit de l’opération « oiseau bleu ». Cette opération est considérée généralement comme une opération où les services secrets français se sont faits rouler par les dirigeants de la W3. En réalité, qu’ils aient été roulés ou qu’ils aient agi en connaissance de cause, le résultat est le même : cette opération a permis de fournir des armes en grande quantité à cette wilaya, renverser le rapport de forces en sa faveur dans sa lutte contre le MNA et en définitive le bouter de la Kabylie. Le témoignage repris du site http://algerie.eklablog.fr/ ci-après est édifiant : « Avant de se séparer (du Congrès de la Soummam, NDLR), on décida d’interrompre l’opération « Oiseau bleu » qui, depuis le gouvernement de Soustelle, continuait sous Lacoste d’armer les Kabyles de Grande Kabylie. Mohammedi Saïd, Amirouche et Krim eurent beau assurer que « tout allait comme sur des roulettes », Ouamrane leur prédit que ça n’allait pas durer. « C’est jouer avec le feu, dit-il. Avec tant d’armes, tant d’argent, peut-on compter à ce point sur des hommes que nous ne pouvons pas, et pour cause, tenir régulièrement en main ? En outre, quel exemple pour le peuple qui n’est pas dans le secret des dieux. Il voit qu’on combat chez moi à Bouzegza, que l’on combat dans le Constantinois, dans l’Aurès, et qu’en Grande Kabylie on semble pactiser avec les Français ». Si ce témoignage est authentique, c’est la preuve d’un cessez-le-feu tacite dans la wilaya 3 avant et pendant le « Congrès de la Soummam ».

Les incongruités et l’échec du congrès de la Soummam

Venons-en maintenant à ce « Congrès ». Peut-on sérieusement soutenir l’idée que cette rencontre est un congrès ? Avait-il les attributs traditionnels et reconnus comme tels dans les organisations politiques (y compris celles armées) à travers l’histoire ? Un congrès peut-il se limiter à ne réunir que les chefs de la Révolution ? Cela ne s’est jamais vu dans l’histoire et même si un tel « congrès » ait existé, il n’en est pas un, car un congrès de n’importe quelle organisation, réunit traditionnellement les membres exécutifs de l’organisation, les membres du conseil d’administration ou du comité central, et en sus de tous ces membres d’office, il y a les élus de la base qui constituent la grande majorité du congrès. Or, que s’est-il passé au dit « Congrès de la Soummam » ? Quatre zones ont eu leurs représentants présents : Ben Mhidi pour l’Oranie (W5), Krim Belkacem pour la Kabylie (W3), Amar Ouamrane pour l’Algérois (W4), Zighoud Youcef et son adjoint Lakhdar Bentobbal pour le nord-constantinois (W2). A ces cinq représentants, s’est joint Abbane Ramdane en tant que représentant de la zone autonome d’Alger. Total des congressistes : six présents ! Absents : la wilaya des Aurès, la Délégation extérieure et la Fédération de France. Est-il raisonnable de tenir un tel congrès avec six personnes qui va engager l’avenir de la Révolution ? Les raisons de sécurité sont-elles le seul motif de restriction du nombre de présents ? La réponse est assurément négative car, sur les lieux mêmes du congrès, se trouvaient des cadres, des futurs chefs de wilaya maintenus, sans raison, exclus du conclave. Ces cadres sont pour mémoire : Mohammedi Saïd et Amirouche pour la W3, Amar Benaouada et Ali Kafi pour la W2, Sadek Dehilès et Mhammed Bougara pour la W4, soit au total six, autant que les membres qui devaient délibérer. Associés aux travaux, les six absents-présents auraient donné à cette rencontre une représentativité moins marginale.

Pourquoi les avoir laissés à l’extérieur du congrès ? Pour répondre à cette question, il faut se poser une autre question : les décisions politiques de ce congrès, consignées dans la PFS auraient-elles été prises en leur présence ? Assurément non, car, ces mêmes décisions, soumises une année plus tard à une assemblée représentative (CNRA composé de 23 membres) ont été purement et simplement rejetées. A cette occasion, Abbane n’a eu qu’une voix, celle de Sadek Dehilès, en soutien à ses positions. C’est lors de cette session du CNRA qu’Abbane Ramdane essuya une cuisante déroute politique ; cette débâcle devait être vécue comme humiliante et difficile à digérer puisque Ben Khedda et Dahleb, membres du CCE, ainsi que Krim, Bentobal et Ouamrane, ses compagnons présents au « Congrès de la Soummam », sont revenus sur les résolutions prise en août 56. Selon une lettre de Krim, Ben Bella, depuis sa prison, a réussi à rallier l’ensemble des cadres de la Révolution contre la PFS (« Les Archives de la Révolution » de M. Harbi page 177). Le fait est que les récriminations de Ben Bella à propos de cette Plate-forme ont été prises en considération au CNRA de 1957 : Ben Youcef Ben Khedda et Saâd Dahleb, les deux centralistes, ont été exclus du CCE et, toujours selon ses vœux, lui-même et ses 4 compagnons de détention ont été désignés dans le nouveau CCE, de même, leur rôle historique dans le 1er Novembre reconnu et la référence aux principes islamiques comme fondements dans la conception du futur état algérien réintroduits. Ben Bella est apparu comme le vainqueur incontestable de ce CNRA. Aucun des 23 hauts cadres présents de ce CNRA, Abbane compris, n’a fait état d’une prétendue trahison de sa part lors du procès de l’OS de 1950. Selon le neveu d’Abbane, Ben Bella devait s’expliquer sur sa trahison de l’OS lors du « Congrès de la Soummam ». Première remarque : si tel avait été le cas, on aurait fait le nécessaire pour que Ben Bella participe au congrès, en dépêchant un agent de liaison en Italie où il s’est déplacé. S’il était entré par ses propres moyens comme Ben Mhidi l’avait fait auparavant, comme aurait-il pu trouver le lieu du congrès, lieu tenu dans le secret le plus absolu ? Deuxième remarque, Abbane aurait eu tout le loisir de poser ce problème de la trahison lors du CNRA de 1957 pour barrer la route du CCE à Ben Bella et exclure son ennemi intime du FLN. L’absence de traces, lors de ce CNRA, d’Abbane ou de quelqu’un d’autre, sur cette trahison imaginaire est la meilleure preuve de la loyauté de Ben Bella à la révolution. Bien au contraire, à la constitution du GPRA en septembre 1958, Ben Bella fut désigné Vice-président et ses quatre compagnons de détention nommés ministres d’état. Compte tenu de cette prééminence de Ben Bella, c’est à partir de là qu’a été consacrée l’expression « Ben Bella et ses compagnons ». Qui plus est, à sa sortie de prison après le cessez-le-feu, les puissants 3B se sont effacés devant lui et ont perdu toute influence sur la direction de la Révolution.

Le SDECE au service du CCE

Après le « Congrès de la Soummam », survinrent des évènements encore plus troubles. En septembre 1956, le CCE prit des dispositions pour asseoir son autorité, particulièrement en Tunisie où il était contesté par le représentant de Ben Bella, Ali Mahsas, et par les chefs des Aurès et de la base de l’Est. Le Colonel Ouamrane fut chargé de cette mission difficile qu’il a accomplie avec succès : pas étonnant, car à son arrivée, un bataillon de la W1, commandé par une taupe du SDECE du nom de Ha. A., l’attendait pour se mettre à son service, arrêtant et emprisonnant tout cadre connu pour être un opposant du CCE. Cerise sur le gâteau, Ouamrane a confié la direction de la prison du FLN à Ha. A., secondé par une deuxième taupe du SDECE, Mokhnèche Abdelhamid, qui faisait office de chauffeur du Commandant Ha. A., mais qui était en réalité son chef hiérarchique dans le SDECE. Tous les détails de cette manipulation se trouvent dans le livre cité plus haut du moudjahid Basta Arezki, emprisonné pour son refus d’assassiner Mahsas. Les deux taupes ont même fait partie du tribunal qui a condamné les officiers de la W1 opposés à la PFS. Ni Ouamrane, ni Krim et Abbane, réfugiés plus tard en Tunisie après la grève des 8 jours, n’ont découvert le double jeu de ces deux agents dont l’influence sur les dirigeants a duré presque trois années. Bien pire que ça, l’un d’entre eux (le faux chauffeur FLN et vrai cadre du SDECE) est devenu l’homme de confiance de Krim. Dans l’affaire dite du complot Lamouri (1959), c’est cet agent du SDECE qui a informé Krim de ce complot, le SDECE ayant obtenu l’information de son réseau du Caire. L’intérêt du SDECE était bien sûr de faire avorter la tentative du colonel Lamouri qui avait pour projet le transfert du siège du GPRA de Tunis au Caire et la modification de sa composition. Les deux infiltrés ont été finalement démasqués, mais tardivement, car les dégâts qu’ils ont causés à la Révolution sont incommensurables. Le Commandant Ha. A. a été exécuté et Mokhnèche, son chef du SDECE s’est enfui à l’Ambassade de France en Tunisie qui l’a exfiltré vers Alger où il a été accueilli en héros par l’état-major de l’armée française.