Yennayer, une imposture berbériste Par Youcef Benzatat
Les Algériens sont sommés de fêter ce 12 janvier un mythique « Nouvel An amazighe ». Les berbéristes en ont fait une date symbolique dans leur quête nationaliste. Par opportunisme politique, le régime de Bouteflika qui s’apprêtait à imposer au peuple algérien un cinquième mandat a jpué le jeu des berbéristes et n’a pas hésité à faire de Yennayer une journée nationale officielle chôme et payée. Le nouveau pouvoir ne semble pas déroger à la règle qui consiste à satisfaire la Kabylie même au prix d’une imposture historique. Nous reproduisons ci-dessous la chronique de Youcef Benzatat, datée de janvier 2017. Sur le fond, le propos reste d’une actualité pertinente.
C’est dans l’effervescence du Mouvement Culturel Berbère (MCB), au tournant des années 1980, que le militant chaoui Ammar Neggadi, membre de l’Académie berbère de Paris, inventa le calendrier berbère. Du moins selon les dires de la majorité des berbéristes. Car, pour des considérations régionalistes, certains lui contestent cette paternité ! Mais les ambitions de ce mouvement ethnico-conservateur étaient déjà en gestation bien avant l’indépendance nationale et se cristallisèrent dans ce que les historiens qualifieront de crise berbériste. Celle-ci s’étalera tout le long de la préparation du déclenchement de la révolution de 1954, sans jamais faiblir jusqu’à son explosion les années 1980. On connaît la suite. Aujourd’hui, les plus zélés parmi les militants de ce mouvement ethnico-conservateur vont jusqu’à demander l’épuration ethnico-culturelle des Algériens, voir leur séparation, allant jusqu’à la revendication de la partition du territoire national !
Comme pour toute idéologie, qu’elle soit politique, identitaire ou religieuse, celle-ci aussi pour s’affirmer doit se doter d’un système de référents pour asseoir sa structuration. Pour ce faire elle doit recourir à toute sortes de symboles, de mythes, de rituels déjà existants dans son environnement culturel et les réinterpréter à des fins de réappropriation pour asseoir sa légitimation. Si l’archéologie religieuse est parvenue à nous expliquer comment les rites païens sont réinterprétés et appropriés par les religions monothéistes pour leurs besoins, cette méthode est toute indiquée pour nous éclairer sur les moyens mis en œuvre par les militants berbéristes pour opérer le choix du début du calendrier berbère et ses origines. Prenons comme exemple la Kaaba. Ce que dit la construction mythologique religieuse musulmane, ce serait Ibrahim qui l’aurait construite sur injonction de Dieu. Alors que l’archéologie des religions nous enseigne que la construction de la Kaaba fut un long processus qui résulta d’une série de facteurs qui se sont enchaînés tout le long de sa cristallisation, jusqu’à son appropriation par le pouvoir politico-religieux musulman naissant. En substance, l’archéologie religieuse nous enseigne que ce sont les pratiques païennes des tribus nomades arabes qui ont présidé à son édification. Ces derniers étaient connus pour avoir comme dieu protecteur, pour chaque tente, une pierre noire, censée abriter « RAB EL BEYT » qu’ils transportaient au gré de leur pérégrinations dans le désert et qu’ils disposaient non loin de leur tente à chacune de leurs haltes. Au moment de leur sédentarisation à la Mecque une pierre fut disposée à l’emplacement actuel de la Kaaba et fut entourée d’un muret, afin d’éviter que les animaux plus nombreux ne pénètrent dans ce lieu sacré. Ce muret n’a cessé de s’élever à partir de ce moment, car en plus des animaux, la Mecque se trouvant dans une vallée, sujette à des crues épisodiques, le besoin se faisait de plus en plus d’élever ce muret afin d’éviter que la pierre protectrice ne soit emportée par le torrent de boue que les crues successives déversaient. Cette pierre est enchâssée aujourd’hui dans l’un des angles de la Kaaba.
Ammar Neggadi va opérer de la même manière que l’ont fait les constructions mythologiques religieuses pour assoir la légitimation du choix du début du calendrier berbère. Il a donc choisi une référence historique, celle de l’intronisation de Sheshonq 1er, un pharaon d’origine amazighe et fondateur de la XXIIe dynastie. De la date de cette intronisation il en fera le début du calendrier berbère, soit 950 avant Jésus-Christ, ce qui nous situera aujourd’hui en 2968. Il ne lui restait qu’à l’associer à une fête païenne locale, dont personne n’est en mesure aujourd’hui de dire scientifiquement ses origines, ni sa signification, en l’occurrence la célébration par les Algériens, vers le 10 janvier de chaque nouvel an, de ce qu’ils nomment communément, d’Est en Ouest, du Sud au Nord : Yennayer. Ammar Neggadi et l’Académie berbère de Paris semblent donc s’appuyer sur le fait, tout à fait farfelu, que les Algériens fêtent Yennayer en célébration de la prise du pouvoir en Égypte de l’un de leurs ancêtres amazighes, qui aurait selon eux battu Ramsès III à Beninesnouss avant de partir à la conquête de l’Égypte, pour y fonder la XXIIe dynastie, une dynastie amazighe, dont l’avènement mérite d’être pris comme référence à l’établissement du calendrier berbère !
Comme pour les constructions idéologiques religieuses, l’Académie berbère de Paris semble ne pas tenir compte de la réalité historique telle que produite par les historiens. En fait, selon les livres d’histoire, Sheshonq n’a jamais battu Ramses III, ni que ce dernier soit parvenu jusqu’à Beninesnous, encore moins que notre héros imaginaire ne soit parti à la conquête de l’Egypte à partir des terres algériennes. Cette victoire sur Ramsès III ne pouvait même pas se produire, car ce Pharaon est tout simplement mort deux siècles avant l’intronisation de notre héros national. Il est largement décrit dans les livres d’histoire en tant que militaire au service du Pharaon. Sheshonq était général dans les armées égyptiennes et à la mort du Pharaon c’était l’homme le plus puissant, et le pouvoir lui revenait par la force. C’est ainsi qu’il fonda une dynastie égyptienne, qui n’a rien à voir avec une quelconque dynastie amazighe. Il est certes d’origine amazighe, mais ses parents et grands-parents, voire depuis plusieurs générations, ses ascendants sont établis en Égypte et complètement égyptianisés.
L’on comprend que pour les besoins de notre développement culturel nous devons réhabiliter notre patrimoine, nos valeurs, notre identité, notre histoire, mais que cela ne les pervertisse pas au profit d’une idéologie sur mesure destinée à servir les intérêts d’un groupe au détriment de celui des autres. Oui pour Yennayer comme fête nationale, mais sans récupération, ni perversion, plutôt laisser la porte ouverte aux jeunes chercheurs pour aller le plus loin dans l’explication de ses origines et son sens, à l’image des travaux du Crasc d’Oran et de beaucoup d’autres. Mais ne nous leurrons pas, ni les berbéristes, ni le pouvoir, ne sont effectivement et objectivement animés par de telles motivations. Les uns voudraient arracher coûte que coûte, toute revendication qui puisse renforcer et donner crédit à leur idéologie séparatiste et raciste, quitte à pervertir l’histoire et dénaturer les fondements de l’identité nationale. Quant au pouvoir, confronté à une période de vaches maigres, caractérisée par une baisse catastrophique des recettes des hydrocarbures, principale ressource pour l’achat de la paix sociale, il est contraint d’éteindre le brasier kabyle en distribuant en vrac et sans y prendre garde, symboles, mythes et tout autre désir de folklorisation de la culture et de l’identité nationale. Le pire, c’est que le 5ème mandat approche à grands pas et la colère sociale est à son paroxysme, autant céder à tout va et à toute forme de revendication, aussi absurde soit-elle, y compris s’il le fallait rebaptiser le chameau lion, pour réussir la transition vers cette 5ème imposture.